Mohamed, jeune homme de la cité des Minguettes à Venissieux, est victime d’une bavure policière. Il s’en sort. S’offre à lui la possibilité de se venger. A cela, il préfère une action pacifique mais ferme : une marche à travers la France pour que les comportements et les crimes racistes soient reconnus et cessent. Octobre 1983 est marqué par cette mobilisation qui finira à Paris deux mois plus tard. Une marche pour se faire entendre, une marche pour écouter les autres, une marche pour ne pas rester immobile.
La force indubitable de ce film de Nabil Ben Yadir, jeune réalisateur belge (Les Barons, 2009), est sa bande de personnages et le casting qui l’accompagne. Facile me direz-vous, il part de faits réels. Oui, mais pas évident, surtout qu’il a pris le pari de ne pas forcément faire des copies conformes de Toumi Djaidja, l’instigateur de cette marche et le prêtre ouvrier, Christian Delorme. Et nous voilà parti pour deux heures d’humanisme à travers la France, avec neuf personnes qui n’étaient pas forcément vouées à se rencontrer. De quelques jeunes qui ne savent pas trop ce qu’ils font là mais qui suivent Mohamed (Twefik Jallab, un charisme de fou) leur copain de toujours, à des militants nettement plus engagés et enragés (Lubna Azabal, aussi poignante que mordante). Ce petit monde se serrent les coudes dès que l’adversité et les cons s’en mêlent. Le reste du temps, ça se chamaille, ça débat, ça rit et ça grandit devant nos yeux, prêts à recevoir autant d’espoir qu’ils en donnent. La performance de chaque acteur est indiscutable : ils jouent avec leur tripes, avec envie, avec autre chose au-delà du métier. Olivier Gourmet, Hafsia Herzi, Vincent Rottiers, M’Barek Belkouk, Charlotte Lebon, Philippe Nahon, Djamel Debbouze, tous sans exception, jouent pour agir.
Pas de leçons de morale, encore moins de vérités/clichés prêts à l’emploi. Ils se plantent, sortent des conneries grosses comme eux, ils se remettent en cause, tiennent loin d’eux toute récupération politique et sont prêt à accueillir toute personne ouverte d’esprit dans un choc des cultures souvent très drôle. Dans la salle, beaucoup de rires et un silence qui a bien témoigné de l’attention portée pendant les 2h de film. Et même quelques applaudissements à la fin…
Un travail très minutieux a aussi été effectué sur la reconstitution de l’époque, que ce soit pour les vêtements, les lieux, les ambiances ou les décors. Une véritable plongée au début des années 80, entrecoupée d’archives de l’INA. Aucun écart entre les images de l’époque et les scènes du film. Cela se niche jusque dans le langage de ces jeunes de banlieue qui parlait un français académique, loin des wesh et du verlan des années d’après. Cette pointe d’authenticité est plus qu’appréciable et donne un poids au film. A noter que la BO est réalisée par Stephen Warbeck, déjà auteur de la BO De Billy Eliott (2000), rien que ça !
Le peu qu’on a gardé en mémoire de cet événement, c’est une mauvaise appellation qui n’a jamais été cautionnée par Les Marcheurs : « La Marche des Beurs ». Quid de la laïcité de cette marche et de la prise en compte de TOUS les racismes ? Le film met bien le doigt dessus en nous dressant des portraits loin d’être manichéens. Et une fois de plus, ce sont les médias qui ont fait des raccourcis minables. Voulu ou non, cela a desservi le message initial, même si à l’arrivée la carte de séjour pour 10 ans et la reconnaissance du crime raciste ont été établis.
Il est important d’aller voir ce film car en dehors de ses qualités indéniables cinématographiques, il donne à réfléchir sur hier et aujourd’hui, nos comportements chaque jour, nos préjugés à la con et il nous garde l’esprit en éveil ! Un film citoyen au sens noble du terme.
Roseline
La Marche, de Nabil Ben Yadir, avec Olivier Gourmet, Tewfik Jallab, Vincent Rottiers, M’Barek Belkouk, Hafsia Herzi, Lubna Azabal… Sortie en salle le 27 novembre 2013.