« En finir avec l’angélisme pénal » d’Alain Laurent
Publié Par Francis Richard, le 23 octobre 2013 dans Droit et justice, LectureDans son dernier livre, Alain Laurent oppose à l’angélisme pénal un réalisme pénal, auquel il faudrait que les juges reviennent.
Par Francis Richard.
Quand ceux qui ont pour métier de juger les autres le font avec angélisme, oublieux du nécessaire réalisme qui incombe à leur rôle, attention danger.Ces angélistes le font sous couvert d’humanisme, mais leur humanisme a des œillères. Seuls trouvent grâce à leurs yeux les criminels. Ils se soucient comme d’une guigne de leurs victimes qui bénéficient ainsi d’une double peine, tandis que leurs bourreaux sont transfigurés.
Dans son dernier livre, En finir avec l’angélisme pénal, Alain Laurent oppose ce dernier au réalisme pénal, auquel il faudrait bien pourtant que les juges en France reviennent, parce que c’est un enjeu de civilisation.
Qu’est-ce que l’angélisme pénal ?
Il se dissimule sous un prétendu humanisme pénal prôné, par exemple, par un Marc Ancel : il faut « donner la priorité à la prévention et à la réhabilitation sur la répression et la punition » et puisque les prisonniers ne s’améliorent pas en leur faisant du mal, c’est-à-dire en les jetant en prison, il faut dépeupler les prisons.
De là à faire des prisonniers des victimes, victimes de la société, de l’ordre bourgeois et capitaliste, il n’y a qu’un pas, franchi par Michel Foucault et consorts : « Le délinquant se mue en innocent (celui qui n’a pas la volonté de nuire), en victime à double titre d’un ordre social injuste et d’une odieuse répression policière puis de la prison. »
La responsabilité individuelle n’existe pas. Et, en conséquence, la culpabilité n’existe pas non plus. Le criminel « n’est jamais irrécupérable et est forcément amendable, n’aspirant qu’à réintégrer paisiblement la communauté civilisée ».
Aussi la prison n’est-elle pas la solution, mais le problème. Sous l’influence de l’angélisme pénal, la peine de prison est « rabotée aux deux extrémités opposées », celle des longues peines et celle des courtes peines, et « tend à se réduire progressivement à la portion congrue ».
De plus, les séjours en prison, dès lors raréfiés, devront être toujours plus humanisés : « Les établissements pénitentiaires (quel vilain nom : à améliorer lexicalement au plus vite) se mueront en quelque sorte en centres socio-culturels semi-fermés, pourvoyeurs de stages de réadaptation à la vie en liberté et, pourquoi pas, autogérés par des comités ou des syndicats de détenus. »
Pour leur clouer le bec, voire les diaboliser, ceux qui s’opposent à cet angélisme pénal sont taxés d’adeptes d’un populisme pénal, les mesures efficaces pour assurer la sécurité sont qualifiées de sécuritaires et la compassion pour les victimes est assimilée à une nauséabonde idéologie… victimaire. Car, avec cet angélisme pénal, les victimes de la société (et agresseurs) que sont les criminels sont plus égales que leurs victimes dans la société (et agressés)…
Qu’est-ce le réalisme pénal ?
Alain Laurent reprend à son compte, dans une version minimaliste (i.e. sans y appliquer le rigorisme de son auteur : loi du talion et peine de mort), le point suivant, d’origine kantienne : « Être moral, c’est s’astreindre à ne pas nuire à autrui [...] en ne lui faisant pas violence. » Et reprend, également chez Kant, cet autre point qu’est la libre volonté dont est doté l’être humain : « En chaque être humain, la volonté est une causalité agissante indépendante des déterminations empiriques extérieures qui résulte de l’usage de la raison. »
De ces deux points, il appert que la personne humaine est responsable de ses actes, peut être punie et doit être punie quand elle ne respecte pas la vie ou la liberté d’autrui : « L’humanisme, pour peu qu’il soit cohérent et réaliste, doit savoir se montrer intraitable avec tout ce qui est proprement inhumain (tuer, violer ou torturer) ou si peu respectueux d’autrui (délinquance ordinaire). »
Les tenants les plus fanatiques de l’angélisme pénal veulent faire croire que le droit de vivre en sûreté figurant dans la déclaration des droits de l’homme ne s’applique qu’à la certitude des lois et à la protection des citoyens contre le despotisme. Or, comme l’ont confirmé des humanistes libéraux tels que Wilhelm von Humboldt ou Benjamin Constant, il s’applique tout autant à la protection contre l’insécurité criminelle et délinquante : « La sûreté est forcément… sécuritaire, au meilleur sens du mot [...]. Peut-on a contrario imaginer un État de droit policé dans lequel les citoyens seraient bien à l’abri de toute arrestation arbitraire mais où les violences privées pourraient se donner libre cours sans autre forme de procès – si l’on peut dire ? »
Chaque individu est-il responsable ?
La libre volonté implique la responsabilité individuelle. Chaque individu est en dernier ressort auteur et responsable de ses choix et de ses actes : « Si les explications mécaniquement déterministes étaient vraies, toutes les personnes confrontées aux mêmes conditions sociales ou culturelles, surtout défavorisées, devraient se comporter de semblable manière. »
À quelles conditions et dans quelle mesure un individu est-il responsable de ses actes nuisibles à l’égard d’autrui ? « Sauf en cas de troubles pathologiques avérés et d’une minorité en âge certainement à réviser à la baisse dans notre ère dite post-moderne, il l’est intégralement. » Les criminels et délinquants ne sont pas ces êtres amendables, « n’aspirant qu’à réintégrer paisiblement la communauté civilisée », qu’imaginent les angélistes. Leur objectif, choisi en toute conscience – ils ne veulent pas être des « blaireaux » –, est d’obtenir, au moindre effort, et par tous les moyens, « vie facile, argent et sexe ». Pour cela ils mobilisent leur intelligence, qui aurait pu être au service d’un tout autre, et meilleur, usage.
Les transgresseurs violents, n’ont pas le moindre sentiment de culpabilité et se trouvent toujours de bonnes excuses pour justifier leurs agissements. Et les angélistes les renforcent dans cette attitude en disant que tout le monde pourrait un jour devenir comme eux…
L’utilité économique n’est pas le seul moteur qui anime ces criminels et délinquants (qui ne devraient pas inspirer pitié, ce qui serait cruel pour ceux qui ne le sont pas, pensait Tocqueville), quels que soient leurs méfaits, petits ou grands : « Faire souffrir moralement et parfois physiquement, faire éprouver sa toute-puissance momentanée, dominer – et en jouir : voici également ce qui fait courir ces adeptes de la loi du plus fort et pratiquants d’un hédonisme cruel. »
A-t-on le droit et le devoir de punir sévèrement les criminels et délinquants ?
John Locke a été le premier à soutenir que punir les criminels et délinquants était un droit, qui s’apparente à la légitime défense contre une agression, dont l’exercice est confié à une autorité judiciaire dans une société civile et civilisée. Punir n’est pas seulement un droit, mais un devoir répondant à une nécessité morale et civile (voir Humbold) : « La peine doit logiquement et moralement stigmatiser l’injustice commise par l’auteur d’une « transgression ». »
Comme le rappelle Alain Laurent, John Locke soutenait même « qu’en se plaçant volontairement hors des normes de l’humanité commune, le criminel perd justement ses droits d’homme »…
Il est juste de sanctionner tout acte d’un individu qui en empêche un autre de vivre librement et paisiblement, et qui porte ainsi atteinte à la norme de non-violence entre être humains qui se doivent respect mutuel.
Si elle doit être modulée en fonction de la gravité de l’acte commis et ne pas molester son auteur, la peine doit être… pénible, pour écarter toute tentation de contrevenir à cette règle et « pour rendre sensible à ce qu’il y a de proprement intolérable et donc de répréhensible dans toute atteinte à l’intégrité morale ou physique d’autrui » : « La certitude de la sévérité de la peine compte plus que la certitude d’une peine qui ne le serait pas. »
C’est pourquoi « réduire le pénal au civil est proprement inacceptable et une insulte aux victimes » d’un crime ou d’un délit, qui ont subi en conséquence un dommage irréparable, au-delà du matériel : « [Cette perspective] équivaut à gommer la nature transgressive du crime pour en faire un trivial objet de transaction financière. »
Est-il juste de mettre en prison les transgresseurs violents ?
Le fait de mettre sous les verrous et de priver d’une partie de ses droits un condamné est un acte légitime, qui n’a rien à voir avec la violence de l’agresseur : « La violence n’existe que du côté de la partie qui commence, qui décide de rompre l’équilibre des relations pacifiques entre individus en usant de la ruse, de la fraude ou de la force physique brutale pour agresser des personnes qui ne leur ont rien fait et dont le seul tort est de constituer des proies faciles. »
Il est enfin juste de punir avant toute considération utilitariste. Alain Laurent cite Benjamin Constant : « Le droit est un principe ; l’utilité n’est qu’un résultat. Le droit est une cause ; l’utilité n’est qu’un effet. »
Alain Laurent commente : « Il est déontologiquement nécessaire et non pas même « utile » qu’un transgresseur violent soit puni afin que l’autorité de la loi morale minimale et son respect soient catégoriquement réaffirmés et que la civilité qui en découle conserve son sens. »
Cela n’exclut pas qu’une juste peine puisse être utile…
Faut-il construire des prisons ?
Si des peines punitives, plus sévères, sont prononcées, les prisons françaises actuelles seront insuffisantes. Alain Laurent l’assume. Il remarque que le taux d’incarcération français est bien inférieur à celui du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la moyenne de l’Union européenne.
Il remarque que les prisons françaises sont encombrées « par la détention de délinquants étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et de condamnés pour de petits trafics de stupéfiants ou de légères infractions routières à répétition » : « La reconduite administrative immédiate aux frontières des uns et une certaine dépénalisation mesurée pour les autres désemcombrerait… utilement les établissements pénitentiaires en faisant de la place pour de nouveaux arrivants à la présence plus justifiée. »
Cela ne suffira certainement pas à résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Il faudra donc implanter de nouveaux établissements et remédier à la vétusté et à l’insalubrité d’un trop grand nombre de ceux qui existent actuellement, en n’oubliant pas que : « La vie en prison ne peut être la poursuite d’une existence bénéficiant de la liberté de disposer des commodités courantes en milieu fermé, mais symboliquement son opposé. Seules les libertés de travailler et de se former ou de se cultiver peuvent légitimement y trouver place. »
Il ajoute : « Tel est le prix à payer pour qu’adviennent des prisons de la raison, qui sont seules en mesure de faire exécuter des peines réellement punitives. » Il n’y a pas d’autre moyen de conjurer « les excès inverses de la commisération inconsidérée pour les détenus et des appels aveugles au retour de la peine capitale ».
— Alain Laurent, En finir avec l’angélisme pénal, Les Belles Lettres, septembre 2013, 130 pages.
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