Ce matin, encore un début de journée avec un souffle froid dans la chambre. Je me lève, je vais réveiller mes deux enfants, mes deux adoslescents qui ronchonnent sous leur couette et vont mettre près de vingt minutes à émerger.
Douche, froide, puis tiède, puis chaude, doucement je ressens la température réelle, anesthésiée par la vie depuis des mois, depuis de si longs mois. Ce matin, petit-déjeuner, j'accompagnerai les enfants, je les laisserai au coin de la rue, vers le collègue et le lycée, ils sont grands. D'ailleurs ils tiennent le coup, sans marquer de faiblesse, sauf peut-être l'autre soir, devant la télé, tous les trois dans le canapé, serrés comme une famille, pour un câlin, pour un coup de blues léger en regardant le concert d'un chanteur, le préféré de leur père.
Soudain ils passent, viennent se doucher pendant que je me maquille, pendant que je m'habille, toute la journée commence. Froid ici, un collant, une robe, une écharpe pour moi. Leurs grognements sous l'eau, savons et parfums, tee-shirts et jeans pour les deux, une tenue adéquate pour leurs cours, leurs anonymats dans leurs tribus de copains et copines. Tiens d'ailleurs entre deux tartines de Nutella, je découvre que deux copines dorment ici demain soir, une invitation, un sourire, un repas adapté. Ils sont heureux de cette facilité, de cette vie entre amour et amitié, entre mon coeur qui bat pour eux, leurs profondes enveis de rester des enfants de leur super-maman.
Aujourd'hui, je les laisserai mais pas pour aller au boulot, mais pour m'arrêter sur le parking du stade. Là en longeant le trottoir entre deux haies de roses, toujours en fleurs, je pousserai la grille en fer, froide, dans un grincement frois lui-aussi. Des tombes, des petits cailloux, mes talons, ma tenue élégante, un manteau jaune, tout cela, c'est pour lui, car il m'adorait ainsi, me serrait fort dans ses bras, m'embrassait.
Mais un jour, un camion, une autre voiture folle, et lui dans l'ambulance, un coup de fil, un coma, des nouvelles affolantes, une journée impossible, une vie, une fin de vie. Veuve je suis, et là devant sa tombe, je pleure, je ne peux retenir cette force. Cette dignité qui serait plus belle, plus noble, mais je lâche tout ce que je retiens durant les autres jours, les semaines, les mois. Je suis devenu un parent solo de force, contrainte d'aimer deux fois mes enfants. Là je pleure car cet homme, ce mari, il me manque, je le voudrais juste là, près de moi, devant d'autres tombes, sa main sur mon épaule. Le sentir. L'aimer.
La vie est ainsi faite, je lutte, je pleure encore, je souris aussi de ma tenue, pour lui, pensant qu'il me verra toujours aussi belle. J'enrage de cette injustice, mais je pleure aussi de ce manque. Alors à reculons, sans voir, les premières fleurs de la Toussaint, ici et là, je repars en lui faisant un dernier signe, comme un aurevoir, comme pour le revoir bientôt.
Il me manque.
Nylonement