La fondation Robert Schuman aime la crise

Publié le 22 octobre 2013 par Edgar @edgarpoe

"à terme l’objectif est bien d’aboutir à un Etat social européen intégré"

Dans une note du 21 octobre, la Fondation Robert Schuman parle du dahut de l'Europe sociale.

Le résumé de la note est un bijou de concision - sinon de syntaxe.

Premiers mots : "Après avoir réussi, avec les effets accélérateurs de la crise, à forger des instruments fédéraux de pilotage de l’euro – Fonds et Mécanisme de Stabilité, lancement d’une Union bancairee -, franchi une étape majeure dans l’intégration des politiques budgétaires – Semestre européen, norme unique de déficit budgétaire – et permis l’évolution vers le statut de prêteur de dernier ressort, faisant de la BCE, une banque centrale à part entière".

Le lecteur pervers pourra relever que la crise c'est finalement pas si mal puisque ça permet d'accélérer la construction de l'état européen.

Mais la crise a deux effets gênants : "L’urgence de la question est posée [sic] par la nécessité de répondre aux attentes de nos sociétés minées par le chômage, surtout celui des jeunes mais aussi comme facteur de stabilisation et de pérennité de l’euro". La crise ça crée du chômage mais surtout ça menace l'euro, et ça c'est bien plus ennuyeux.

Il faut donc faire quelque chose.

La suite de la note revient sur les causes de la crise : "Une telle évolution pose la question de savoir si la zone euro a pour fin ultime de construire une véritable monnaie unique ou seulement un régime de taux de change fixe ajustable par la compression des salaires et des prix quand survient, comme ce fut le cas entre 2010 et 2012, la pression des marchés par le canal des dettes souveraines."

La note ne le dit évidemment pas explicitement mais cela valide ce que tout le monde sait : le régime de changes fixes qu'est l'euro n'est régulable que par la compression des salaires et l'austérité.

Bien entendu, la note ne le dit pas et, après ce demi-aveu, renvoie la faute sur les états européens, ces pelés :

"Les déséquilibres structurels des Etats membres de la zone euro doivent peu aux programmes d’austérité mais bien davantage aux politiques nationales qui, après avoir accompli les efforts requis pour adhérer à l’euro, ont entretenu à peu de frais les rentes sociales ou les bulles financières au lieu de mobiliser ce bien collectif qu’est l’euro pour entreprendre les réformes de structures nécessaires en vue de muscler la croissance potentielle à moyen terme."

En gros, il faut des efforts pour adopter l'euro, et après il faut des efforts pour supporter l'euro, mais tout ça n'est en rien la faute à l'euro.

La note, juste après cette preuve de virtuosité, livre la clé de lecture politiquement correcte de ce qui est européen : "en matière d’emploi comme en bien d’autres, les causes des problèmes sont nationales alors que les solutions sont européennes."

Jusqu'ici on ne voit pas bien les avantages de l'euro, on sait juste qu'il coûte, mais que c'est la faute aux états.

En réalité, l'avantage de l'euro, le voici :

"L’euro est ainsi le moteur d’un processus dialectique poussant de l’intégration monétaire à l’intégration budgétaire et, de là, à l’intégration politique en vertu des principes fondamentaux de la représentation : no taxation without representation."

Là on apprend trois choses :

1. L'euro n'a aucune vertu propre, c'est l'élément de construction d'un état européen ;

2. Le processus dialectique signifie que chacun sait que l'euro ne peut fonctionner sans un budget européen mais qu'il ne faut pas le dire. La dialectique exige deux temps : l'euro provoque la crise, ensuite la crise appelle un budget européen. La méthode dialectique est nécessaire - comme toujours pour faire passer des choix arbitraires et soustraits à la démocratie - parce qu'aucun européen sain d'esprit (en dehors des partisans dogmatiques de l'intégration européenne et/dont les rédacteurs de la note) n'aurait accepté en connaissance de cause d'adopter l'euro ;

3. Comme le but ultime de l'euro est d'arriver à un état européen, il manque une pièce essentielle, c'est un budget européen digne de ce nom. Le troisième enseignement de ce passage est donc que nous ne souffrons pas encore assez puisque les états ont rejeté l'augmentation du budget européen et que la prochaine étape va consister à trouver un moyen d'y revenir.

La dialectique suppose bien des renversements :

"le fait pour un Parlement national de voter – à supposer que ce soit possible – des impôts illimités sur les Etats membres de la monnaie unique, exerce des effets dépressifs sur l’économie de l’Union monétaire et menace la viabilité de l’euro."

Par cette phrase les auteurs veulent dire que "l'aide" européenne à la Grèce est assimilée à un impôt voté par les grecs (à quelles conditions !) qui de plus est la cause de la dépression européenne. Il faut comprendre donc que l'euro n'est pour rien dans la survenue simultanée de crises en Irlande, Grèce, Espagne, Italie, portugal, France, mais qu'une épidémie mystérieuse rend des aides financières nécessaires, lesquelles aides fragiliserait l'euro.

Heureusement, pour soigner cette épidémie mystérieuse, la Fondation Robert Schuman a un remède miraculeux : faire gérer toute la protection sociale (ou ce qu'il en resterait) par des dépenses européennes.

"L’objectif serait de couvrir tous les Etats membres de la zone euro à un horizon de dix à quinze ans, domaine par domaine : maladie, retraite, chômage, famille, dépendance. Le point de départ de ce processus devrait être une « déclaration Schuman » de l’Europe sociale émanant d’une personnalité ou d’un groupe de personnalités européennes politiques ou syndicales de premier plan."

A l'appui de leur choix de dépenses sociales européennes, les auteurs sont obligés, là encore, de concéder que lEurope est un peu pour quelque chose dans la crise.

Les bretons dont l'agro-alimentaire est ravagé seront ainsi ravis de lire cet aveu discret, lâché comme à regret pour réclamer encore plus d'Europe : "les exemples de concurrence sociale, parfois agressive, sont désormais des faits avérés, notamment dans le secteur agroalimentaire, celui des transports ou dans celui du bâtiment."

Contrairement à ce que raconte Le Pen, la crise de l'agro-alimentaire c'est pas les musulmans, c'est la libre concurrence européenne.

Revenons donc au but essentiel : faire avancer l'Europe et le "petit pas" suivant : un budget européen.

L'idée est de commencer la hausse du budget européen en communautarisant l'assurance chômage.

Il faut d'abord des syndicats pour donner un côté spontané et populaire à la mesure : "il importe que, agissant sans injonction des Etats ou de la Commission, les partenaires sociaux d’au moins deux pays membres prennent l’initiative. Symboliquement on peut souhaiter que l’Allemagne et la France soient les pionniers de l’initiative malgré des traditions sociales différentes." Gageons qu'on cherche déjà des volontaires à la CFDT et au DGB, qui seront récompensés par une belle carrière européenne.

Une fois le soutien populaire simulé, le système devra permettre d'aligner dans toute la zone euro les conditions de l'assurance-chômage : "la méthode vers la convergence devra être souple et graduelle : fixer des écarts maximum au démarrage et prévoir un calendrier pour leur resserrement progressif sur le moyen terme et pourquoi pas leur disparition à un horizon 2020 par exemple."

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme l'idée que cette harmonisation devrait permettre globalement de dépenser moins pour l'assurance-chômage. Par ailleurs, je note qu'une telle harmonisation autoritaire n'est en rien envisagée pour la concurrence fiscale.

*

Une note passionnante donc. On y apprend quelles seront les prochaines étapes de la construction européenne. Comme d'habitude, cela ne sera jamais expliqué directement, et tout doit avoir l'air spontané (il serait bon que les syndicats cessent de jouer, à ce propos, les idiots utiles). Comme d'habitude, le diagnostic porté sur la crise par cet institut européen (que la Commission européenne a financé à hauteur de 1 millions d'euros en six ans, au passage) est faussé parce qu'il convient non pas de résoudre la crise, mais de passer, grâce à celle-ci, à la prochaine étape. La dialectique c'est merveilleux.