22/10/2013
Mon troisième jour de repos, dans le charmant village de Vezelay, commence de la meilleure des manières. Un bar ouvert de bonne heure, sur la place devant la belle et immense basilique, offre un décor qui me convient parfaitement pour réaliser mon hobby favori, boire un café sur une table en bois.
Ce matin, au réveil, je réalise qu’il va me falloir bientôt reprendre la route et que je n’ai plus de tente. Mes discussions et partages avec les gens du coin, ont fait surgir une peur en moi. Il semble que le chemin de Vezelay soit peu fréquenté et donc peu fourni en auberge pour pèlerin. C’est frappant de voir comme on s’accroche à tout ce qui nous passent sous la main. Une tente n’est rien d’autre qu’un pauvre petit morceau de tissu qui me protégeait à peine de la fraîcheur automnale mais maintenant que je ne l’ai plus, je me sens comme nu face aux éléments et au regard des autres. Dans notre société, l’image associé aux personnes qui dorment dehors, est déplorable. Ce discours permanent, entendu tout le long de ma jeune existence, fait son travail de sape et, le temps d’un instant, j’ai peur. J’ai peur d’avoir froid, d’avoir des problèmes avec la population locale, j’ai peur pour mon confort et mon intégrité. J’ai peur que l’on me vole ou que l’on m’agresse.
Allongé sur mon lit, je m’offre un instant de méditation pour trouver en moi la force de continuer mon chemin de pèlerin. Je suis parti sur la route pour apprendre à me délester de mes peurs les plus tenaces. Je sais que je n’ai rien à craindre et je sais que tout va bien se passer. La méditation est pour moi un outil fabuleux. Il me permet de voir, en un instant, ce qui est essentiel et ce qui n’est que temps et énergie perdu.
Un instant plus tard, les écouteurs plantés dans les oreilles, j’écoute une émission de radio et le sujet et le propos de l’invité me frappe en plein cœur. Lampédusa, migrants, frêles embarcations, naufrages, cadavres. L’invité raconte le calvaire de ces êtres humains qui sont parmi les plus courageux car ils décident de tout quitter pour essayer de mieux vivre et d’aider leurs proches restés au pays. Il raconte le long et terrible voyage effectué par ces gens. La traversé du Sahara, les souffrances, les conditions inhumaines imposées par les autres êtres humains qui exploitent la misère pour gonfler leurs poches de billets doux. La mort qui frappe chaque jour et emporte les plus fragiles. Certains parviennent a toucher le sol européen et déchantent rapidement. Les camps de détentions ne sont pas vraiment ce qu’ils imaginaient et ce pourquoi ils ont tout quitté et risqué leur vie. Je pense au voyage effectué par ces personnes et je le compare au mien. J’ai peur d’avoir froid ! J’ai deux duvets, des vêtements chauds et de rechange. J’ai de quoi me laver, de quoi manger. Je peux choisir où je vais et le rythme de mon voyage. Je suis maître de mes choix et de mes décisions. J’ai du temps et surtout, surtout, je voyage pour voyager. Quel luxe inouï ! Comment pourrais-je expliquer à ces gens, si je devais croiser leurs routes, que j’ai choisi de me mettre en difficulté et de sortir de mon confort pour apprendre, grandir, être plus fort et plus sage. D’un coup, mes peurs s’envolent. J’ai choisi donc, j’assume. Je vais dormir dehors. Chaque fois que je n’aurais pas le choix, je trouverais un porche, un préau, un hangar, un arbre et je dormirais dehors, tout simplement.
Ce soir, pour marquer le coup, je vais dormir dehors, à Vézelay, près de l’auberge où je me repose depuis dimanche. Dormir dehors alors que je pourrais m’abriter me servira à exorciser mes peurs et lancer et donner le ton de la deuxième partie de mon pèlerinage, de Vézelay à Saint Jean pied de port.
Ma quête continue. Mon dépouillement continu. Mon centrage continu. La dissolution de mon égoïsme continue. Ma quête pour la maîtrise de soi continu. Mon cheminement vers la reddition du moi continu. Mon combat pour découvrir l’essentiel, la réalité, la vérité, continu. Mon travail pour faire tomber une à une les barrières qui me séparent de cette source sublime de joie et de sérénité, continu. Ma vie continue.
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