En 2013, un nombre important de manifestations célébrant le centenaire
du grand poète disparu ont eu lieu à la Martinique. Il serait vain d’en
faire ici un inventaire exhaustif : ont-elles toutes été à la mesure de
la pertinence de l’homme et de son legs littéraire ? On peut en douter,
tant celui-ci est novateur, immense, inégalé. Toutefois, si ne serait-ce
que quelques unes d’entre elles ont pu donner au public envie de le
lire, de le (re)découvrir, ou de simplement suggérer des pistes pour
aborder une œuvre aussi complexe, elles auront — du moins en partie —
atteint leur objectif et l’on tendrait alors à s’en satisfaire.
Pourrait-on parler, parmi ces manifestations, d’opportunisme ? Même si
la sincérité de chacun n’est pas à mettre en doute, nul doute non plus
que la récupération politicienne aura également fait partie du lot.
Y en a-t-il eu trop ? On ne peut empêcher un pays — si longtemps tenu
sous le boisseau — de s’exprimer à part entière. Chacun est libre de
pouvoir témoigner, avec les moyens qui lui sont propres, de l’empreinte
que lui a laissée celui qui publiait le Discours sur le colonialisme
en 1950. Encore que cela reste dans un premier temps une affaire de
talent et, dans un second, une affaire de partage ou de monstration,
c’est à dire de lieu. En effet, on ne peut certainement pas dire que les
lieux consacrés à l’expression artistique et aux arts plastiques en
particulier soient légion dans notre pays... Et s’il est parfaitement
inconcevable que l’œuvre d’un plasticien, définie par son projet et ses
intentions, et effectuant une réelle recherche esthétique, puisse être
présentée au public au même titre qu’un illustrateur, un artisan ou un
simple amateur (au sens noble du terme), il est tout aussi inadmissible
que n’importe quel travail non qualifié soit présenté aux yeux du monde
sur le seul nom de Césaire.
Mais alors, qui serait habilité à décider, à faire le tri ? Voilà bien
un autre problème, ici, dans cette île où l’espace critique et la
confrontation à l’autre n’existent pas. Plus qu’un problème, c’est même
un réel danger. Car aujourd’hui comme hier, la Martinique continuant de
se languir d’un manque de reconnaissance, persiste à mettre tout un
chacun sur un pied d’égalité, par facilité, par complaisance, par
clientélisme. Et aussi par un pitoyable manque de culture de nos
responsables politiques.
Ainsi en va-t-il de l’exposition Espace Aimé Césaire à l’aéroport du
Lamentin. Outre l’agencement ridicule de cette salle, qui mélange
pêle-mêle fauteuils et plantes (probablement dans une volonté de créer
une illusion d’intimité), quelques phrases extraites du Cahier et
divers portraits dont la réalisation est proche du néant artistique, on
ne sait plus très bien si l’on contemple une triviale réalisation
d’écolier, ou bien la tragique matérialisation d’un sous-développement
culturel endémique, ou encore l’incurie de ceux qui ont autorisé cet
ensemble disparate et vulgaire, éclaboussant de toute sa médiocrité.
En fin de compte, cela n’a guère d’importance puisque aucune œuvre
véritable n’a besoin d’être défendue et celle de Césaire se passe bien
de toute forme d’illustration. Seule la réinterprétation serait digne
d’intérêt.
Ce qui est proprement consternant, c’est que l’on donne à tous ceux qui
arrivent ou partent de notre pays ce visage improbable, hideux, grossier
de notre plus grand poète et penseur. Une véritable insulte à Césaire
et à la Martinique tout entière.