Paola Favoino, tirage extrait de la série "Albanian Sworn Virgins". © Paola Favoino
Il est des expositions dont on attend beaucoup, simplement du fait de leur thématique engagée, de leur connexion au monde dans lequel nous vivons. Ce monde-ci, nous le partageons en tant que citoyen, consommateur, plus métaphysiquement comme humain.
Dans le cadre du festival Kalidoscopio qui s'est tenu à Nantes du 20 septembre au 5 octobre 2013, l'espace du Grand Atelier, situé en plein cœur du quartier populaire des Olivettes, accueillait une exposition, un focus sur une question âpre : la femme comme minorité. On ne s'étendra pas sur les moyens dont disposait apparemment cette première édition de Kalidoscopio pour mener à bien ce projet d'exposition complété par un concert et d'une rencontre avec les artistes. Ou plutôt si. Attardons-nous jusqu'à la fin de cet article sur la simplicité un peu frustre de cette exposition.
À force de scénographies parcourues, de petites expéditions rue vieille du Temple, de monographies faussement humbles, je pourrais en rester à la piqure de déception, à la façon en effet dont tout avait été agencé pour dire "La féminité en (dé)construction à travers l'Europe". Le sous-éclairage des lieux, la sensation de dispersion aléatoire des installations dans ce cube bien fait qu'offre le Grand Atelier, l'accrochage des photographies sur des cimaises chromées bien trop visibles m'ont convaincu que j'étais confronté à quelque chose de mineur. Une bénévole accueillait cet après-midi là le public.
Pas respecté
La claire prise en main qu'elle effectuait alors m'aida à ne pas me perdre dans mes réflexes de visiteurs (de flâneur dirait Benjamin). Mon confort n'allait pas être respecté. Et je constatai vite que rien n'allait flatter mon goût arrogant forgé de Fiac en Frac. En quelques pas, je réalisai que l'objectif annoncé de l'exposition était atteint : donner à voir des réalités méconnues du continent européen à travers le regard d'artistes émergents.
Sensible à la culture italienne, j'ai trouvé bouleversant le travail des deux invitées venues de la péninsule.
Visiteur, je ne suis rien
Les photographies de l'Italienne de Paola Favoino sont riches d'un mystère qui trouve sa source non pas dans ses seuls partis pris esthétiques, mais dans la réalité qu'elle tente d'approcher : "Albanian Sworn Virgins" permet d'approcher le quotidien des burrnesh albanaises. Ces femmes, en accord avec une loi ancestrale, se travestissent en homme pour le restant de leur vie, quand leur lignée ne "bénéficie" pas de rejeton mâle. Favoino a mené un travail ambitieux, saisissant, intelligemment mis en regard d'extraits lus du roman Vergine Giurata d'Elvira Jones.
La pauvreté des personnes que Paola Favoina a côtoyées n'a rien d'un objet de contemplation. C'est à chaque fois du fond des yeux que ces Albanais(es) envisagent la photographe. Surtout, le sujet ne me permet pas d'apprécier. Je n'ai rien à analyser. Les habitus rassurants du visiteur que je suis trop souvent n'opèrent pas.
Je suis sans pouvoir faire face au sujet qu'a choisi Paola Favoina. Je ne peux rien. Rien jauger. Rien juger.
Si une œuvre existe d'abord à l'adresse du public, Paola Favoina m'a fait ressentir combien c'est avant tout le désir de l'autre qui consacre l'aboutissement d'un geste au rang d'œuvre. La simplicité de l'accrochage rapide a-t-il ici besoin d'être seulement évoqué ?
Le refuge d'être quelconque
Source: http://www.ilcorpodelledonne.net/version-francaise/
Un peu plus loin, le bombardement vidéo de Lorella Zanardo cible la représentation des femmes dans les médias italiens. Cette œuvre finit d'achever le petit-bourgeois qui tentait de visiter l'exposition à ma place. Sans répit, le montage et le propos assaillent ce quelconquisme dont je me repais trop souvent en pensant avoir de l'esprit. Ici, l'asservissement des femmes est directement attaqué. Le petit-bourgeois qui est en moi n'a cependant pas eu l'occasion de ressortir pénétré d'indignation. « Qu'est-ce qui nous fait peur ? » lance directement aux femmes Lorella Zanardo. Cette question retentit comme fondement de cette exposition. Posée sans le souci de la correction politique, elle devient, candidement, universelle.
Je sors de là, je tente de remettre un pied dans le monde.
Je laisse se noyer une pulsion qui me fait croire à l'intérêt d'acquérir une photographie de Paola Favoino.
Quelque chose comme acheter… accrocher… décorer… montrer… prétendre…
Qu'est-ce que je redoute pour emboîter ainsi le pas à l'uniformisation, emboîter le pas à la répression, emboîter le pas à la falsification qu'opère à tout niveau le capitalisme ?
Cyril P.
La féminité en (dé)construction à travers l'Europe, festival Kalidoscopio. Du 20 septembre 2013 au 5 octobre 2013. Nantes.