Livres numériques et bibliothèques publiques

Par Kotkot

Me voilà en train de tenter un historique des amours tumultueuses du livre numérique et de la bibliothèque. Pour ouvrir sur de nouvelles perspectives...
A suivre 

De 3 à plus de 200  : les bibliothèques dans la lecture numérique.

On parle couramment aujourd'hui de livres numériques en Bibliothèque.

Sur les usages et pratiques, on commence à distinguer l'ampleur du phénomène.(cf  la carte recensant plus de 250 bibliothèques concernées par la lecture numérique ) en regardant comment les bibliothèques se sont emparées du phénomène de lecture numérique

En 2003, la bibliothèque de Boulogne-Billancourt montre la voie en mettant en place un service de livres numériques. En 2009/2010, deux bibliothèques ouvrent leur service  : La Roche-sur-Yon le 13 novembre 2009, Issy-les-Moulineaux le 10 janvier 2010. La première a intégré des livres de Numilog notamment, la deuxième propose des livres libres de droit (domaine public essentiellement). Le prêt de liseuses est alors en marche. Ce mouvement connaît donc aujourd'hui une forte demande, au point que l'AddnB ( http://addnb.fr ) propose un service de prêt gratuit de liseuses dès janvier 2011.

Mais comment les bibliothèques s'approvisionnent-elles en livres numériques, que ce soient sur leurs supports (liseuses rejointes par les tablettes) ou bien sous forme de téléchargements depuis les portails de bibliothèques  ?

  1. Les approvisionnements et les pratiques & usages

1. Les sources d'approvisionnement avant la loi PLN (prix du livre numérique)

Historiquement, Numilog constitue la première plate-forme ouverte aux bibliothèques.

Son principe  ? Un abonnement fixe, des achats de livres (prêtables un pour un) un espace pour chaque bibliothèque avec statistiques et présentation de la bibliothèque numérique constituée.

Cyberlibris (devenue Bibliovox)imagine une offre différente  : du streaming sur abonnement annuel et sans limitation de consultation.

Puis Publie.net va mettre au point un abonnement en streaming pour l'ensemble de ses titres, sans restriction.

Ces trois plate-formes seront rejointes par une dizaine de projets dont Flexedo, Lekti.net, Histoire, Harmatthèque, ENI,Immateriel, sans que leur recensement fasse l'objet d'une liste. Leurs offres dépendent du bon vouloir des éditeurs qui accordent ou non leur autorisation à atteindre les réservoirs en fonction des transactions financières.

(Sur l'offre actuelle, voir les plate-formes qui ont fait l'objet d'une négociation sur le site de Réseau Carel )

On observe déjà la difficulté pour une bibliothèque publique de gérer plusieurs plate-formes. Et l'absence des libraires dans le dispositif.

2. Tablettes et API

En même temps, les applications sur tablette arrivent  : derrière l'iPad, rapidement, les créateurs s'emparent de la chose écrite et commencent à élaborer des contenus à partir de textes existants ou écrits pour ce nouveau support. Au moins deux systèmes d'exploitation (Apple avec IOS et Google avec Androïd) se partagent le marché, ce qui complique la donne, avec double travail des développeurs.

Mais cette apparition signe le départ de la lecture numérique

3. Tablettes et liseuses en concurrence  ?

Les liseuses deviennent tactiles, connectées et proposent des contenus via des librairies constituées. Bookeen, Kobo (Fnac), Sony et Pocketbook partent sur cette piste. Frontalement, tablettes et liseuses disent capter le marché des lecteurs mais dans un rapport de 1 à 10 : 300 000 liseuses pour 3 millions de tablettes.

C'est alors par des études plus fines qu'on va commencer à parler usages  : «  gros lecteurs  », jeunesse, seniors etc …

4. Usages hybrides et multiples

Aux tablettes succèdent les smartphones, ouvrant la voie aux lectures nomades,

aux connexions permanentes et au partage de ses fichiers entre différents supports. La « pression » sur les bibliothèques ( mais surtout sur les bibliothécaires ) devient plus forte, entraînant un vaste mouvement de réflexion sur la place du numérique, la médiation et in fine, l'organisation future des bibliothèques.

5. Dadvsi, Hadopi et tutti quanti

Depuis 2005, les bibliothécaires se trouvent confrontés à une évolution de la législation : la transposition de la directive européenne pose clairement la question du droit d'auteur à l'aune du numérique. Dans les deux phases de Hadopi, se renforce le sentiment d'une certaine inadéquation temporelle : les usages évoluent plus vite que le cadre réglementaire. Et ce mouvement dépasse largement le champ des établissements de lecture publique.

L'entrée en négociation, fin 2010, du prix du livre numérique ouvre un nouveau champ. La référence européenne complique, tout en garantissant une certaine circulation des biens immatériels.

  1. Le prix unique du livre numérique ou le prix du livre numérique

    à comparer à la" chaîne du livre " (remerciements à Christian Fauré)



1. Accélération

Concordance des temps : au moment où la loi va déterminer les conditions d'accès et d'usage, les bibliothèques s'engagent très largement dans le débat sur le livre numérique.

Les tablettes et liseuses ne sont plus seulement approvisionnées par les plate-formes, mais directement auprès des librairies numériques et des libraires.

Plusieurs procédures cohabitent : extraction de plate-formes quand le contrat le permet, achat généralisé de livres en s'appuyant sur la règle DRM (5 copies), généralisation du streaming.

Mais aussi exploration d'autres contenus  : le domaine public, les textes sous licences libres et/ou ouvertes, les créations.

Côté tablettes, aucune contrainte n'est donnée : les applications sont acquises sans droits complémentaires.

La loi PLN (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024079563&dateTexte=&categorieLien=id ) entend mettre de l'ordre dans le dispositif, en proposant la voie du contrat. A ce jour, aucune mesure n'est effective réellement.

2.Chaîne de valeur, place des libraires, questions technologiques

Petit à petit, les bibliothèques découvrent l'écosystème du livre numérique, sur un modèle largement copié (en terme de cession de droits) sur le modèle physique.

Frictions nombreuses : prix, notion de prêt, circulation des métadonnées, absence des libraires dans la boucle, questionnements sur les accès (les fameux réservoirs) aux mains des distributeurs et des diffuseurs dont Amazon, Apple, Google.

Cette confrontation ne ralentit pas les expérimentations mais les stimule, tout en freinant la mise en œuvre d'un dispositif clair.

3. Et maintenant ?

Aux côtés des 15 plate-formes existantes, naît un circuit créé par les acteurs traditionnels : libraires et éditeurs. La première brique, le PNB, se veut tiers de confiance dans la transaction. Elle permet de signer contrat entre la bibliothèque et la librairie pour un accès. Les usages restent encore à discuter. Les curseurs anciens (nombre d'abonnés, population, nombre de lectures) ne suffisent pas à évaluer correctement la cession de droits pour la lecture numérique en usage collectif. Les modèles se sont multipliés, une seule réponse devient impossible.

4. Cohabitation des modalités d'accès ?

Ce n'est pas impossible.
Au regard du droit d'auteur (et de son reversement à l'auteur), il paraît incongru de copier le modèle Loi Lang/Loi sur le droit de prêt (et d'ailleurs 22 ans séparent ces deux décisions).

Le chargement des supports appartenant à la bibliothèque ne prive pas l'éditeur si l'on considère qu'on encourage une lecture  »unique  » du livre et non son multiple de manière incontrôlée.

On est loin de la mise à disposition des livres numériques pour tous les lecteurs inscrits/abonnés à une bibliothèque publique. Si tant est que cette lecture va s'élargir à d'autres cercles que les « gros lecteurs ».

C'est donc un double mouvement : découverte de la lecture numérique (et la bibliothèque se donne les moyens de le faire en usant légalement des possibilités des mesures de protection voulues/exigées par les éditeurs) ET des supports numériques encore peu répandus d'une part, volonté enfin exprimée des éditeurs de créer un dispositif incitatif afin de capter l'achat des bibliothèques.

5. Et maintenant ?

Le contrat d'auteur a enfin son texte. Mais le décret de la PLN n'a pas encore livré son mode d'emploi.

La question de l'accès aux ressources s'est élargi, via les élus, aux territoires et non plus seulement aux établissements. Nouvelle interrogation, donc, qui rend plus complexe la transaction mais aussi la légitimise dans le temps.

Au milieu du gué, la création de Réseau Carel donne un point de repère clair côté bibliothèques ( cf recommandations : http://www.reseaucarel.org/page/recommandations-pour-le-livre-numerique-en-bibliotheque-publique ) tout comme Couperin pour les bibliothèques académiques.

L'idée de conclure avant ou au moment du Congrès de l'IFLA à l'été 2014 est avancée, c'est-à-dire un processus finalisé d'accès à l'ensemble des livres numériques sous droits par les bibliothèques publiques. Pourquoi pas ?

L'expérimentation PNB (pour en savoir plus : http://www.reseaucarel.org/pnb et pour connaître le point de vue Carel  : http://www.reseaucarel.org/04102013-1154/l-avis-de-carel-sur-pnb ) – en cours - devra valider à la fois : 

  • la brique logicielle technique qui assure les conditions vertueuses de la transaction des droits en usage collectif,

  • les conditions de négociation, en amont, entre les éditeurs & leurs distributeurs d'une part, et entre les éditeurs et les libraires, lesquels feront les offres aux bibliothèques dans le cadre de marchés publics (complexes ou simples).

Mais il faudra tenir compte de l'expertise des bibliothèques qui ont «essayé» le livre numérique, avec des usagers dont l'avis compte, non seulement sur l'offre, mais aussi sur l'environnement «réseaux», sur le lieu même d'échange, sur les manières multiples de lire.

Et derrière l'homothtie du texte physique/numérique, arrive la création sur et dans le Web, lue en flux (streaming connecté ou déconnecté), en même temps que se pose la question des livres-applications créés par des éditeurs non reconnus dans leur propre famille.

C'est donc sans doute  sur quatre trames que se déroule l'avenir du livre numérique en bibliothèque :

* le texte «sorti» du livre,

* l'évolution du droit d'auteur,

* la nomadisation de la lecture,

* l'irruption du numérique dans la culture.

Vaste chantier.