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Laurent Ruquier et l’affaire Pallardy ; des propos tendant à culpabiliser les victimes de viol

Publié le 22 octobre 2013 par Juval @valerieCG

Cher Laurent Ruquier,

Dans votre émission "On va se gêner" du octobre 2013, vous avez tenu les propos suivants à propos de Pierre Pallardy qui était poursuivi pour 19 chefs d'accusations : 7 viols et 12 agressions sexuelles. Cette émission est écoutable ici (à partir de 1h00) ; pour celles et ceux qui découvriraient l'émission, il s'agit d'une émission humoristique, autour de l'actualité avec différents chroniqueurs.

Voici la retranscription des propos :

Laurent Ruquier "Moi c'est ça que je ne comprends pas. C'est pas pour le défendre lui car il a l'air bien coupable ce Pallardy. Je veux pas me mettre à la place du juge ce que je ne comprends pas non plus, pardon Isabelle, ce sont les dames..."
Mergault :"Pourquoi pardon moi j'aurais réagi parfois le pouvoir est tel..."
Ruquier "Pas au point d'y aller quatre ou cinq fois".
(....)
Ruquier : "Ce qui est bizarre c'est les déclarations des dames hein. Pardon hein je comprends la souffrance de cette dame et j’espère que la justice le condamnera et que cette femme sera indemnisée. M'enfin quand même y'a un moment donné on a envie de dire à cette plaignante : "Pourquoi vous y retourniez?" Elle explique que la première fois déjà ca a commencé par un massage du ventre, ca très bien pourquoi pas. Il m'a demandé de replier les jambes les genoux fléchis. La première fois j'ai été un peu perplexe et mal à l'aise parce que il m'a expliqué que sa femme ne répondait pas à ses attentes et que peut-être on pourrait se faire du bien tous les deux ca n'a pas été plus loin. Chais pas moi un type qui me  dit ca la première fois j'y retourne pas forcément la deuxième fois. Vous y retournez vous Isabelle ?"
Mergault "Ah ben non pas du tout"
Ruquier "Et ben elle y retourne. la deuxième fois, elle dit, il m'a enlevé ma culotte, et m'a fait une pénétration digitale, je me suis sentie  scotchée à la table d'examen, j'avais le sentiment d'être en hypnose éveillée sous emprise totale j'étais abrutie par un flot de paroles. heureusement le téléphone a sonné j'ai pu me dégager et me rhabiller j'ai payé et lui faisait comme s'il ne s'était rien passé. Elle est en colère quand elle retourne chez elle, elle l'appelle et ben elle se laisse quand même convaincre de venir à un troisième et un quatrième rendez-vous. Moi je dis y'a un moment Madame, franchement Isabelle ? Franchement stop quoi."
Mergault : "Sous influence"
Ruquier : "Sous influence une fois, deux fois"
Mergault : "C'est la définition de l'influence".
Ruquier : "Beaucoup de mes patientes me prenaient pour dieu, je leur disais non elles étaient vexées dit Pallardy."
Pierre Benichou : "le viol est un crime qui mérite tous les châtiments possibles mais est-ce que quand une femme va à plusieurs reprises se faire faire des massages aussi intimes que ça, est ce qu'on est prêt ou loin de l'acte sexuel ? C'est ça c'est pas pareil qu'une jeune fille qui serait prise de force dans une porte cochère. C'est une femme qui est là mets tes jambes comme ca .."
Mergault "Ben y'a des gens faibles".
Ruquier "Il a utilisé la peur en disant que j'allais vers une récidive ou un autre cancer si je ne suivais pas ses conseils. Donc elle y est allée une cinquième fois où là elle a subi la même chose que la 3eme sauf que là il a tenté de pénétrer aussi son sexe."
Mergault : "c'est ca que je voulais savoir jusque là il y avait que le doigt ou.." (Pour rappel une pénétration non consentie avec un doigt EST un viol)
"Sur un esprit manipulable, qui a peur, parce que cette femme avait un cancer de récidive etc tu peux imaginer.. Tous les gens n'ont pas votre rapidité. Y'a des gens complètement malléables. C'est pour ca que y'a des escrocs. Je trouve ca très dangereux de s'étonner de la naïveté de cette femme. C'est pas parce qu'il y a des gens fiables et qui ont peut-être un QI un peu inférieur que.."
Ruquier : "En parler ca permet de dire aux gens faibles faites gaffe au bout de la troisième fois n'y retournez pas. Si la première fois il vous dit vous savez on pourrait peut-être  baiser ensemble, la deuxième fois il vous met deux doigts et la troisième fois il vous met la main soyez pas surprise que la quatrième fois il vous mette la bite".

Par vos propos, vous laissez entendre qu'en retournant le voir alors qu'il l'a déjà violé, cette femme consent et donc qu'il n'y a pas viol. Peut-être n'est ce pas ce que vous vouliez dire,  peut-être l'avez vous mal formulé mais c'est néanmoins bien ce qui ressort de vos propos et qui est extrêmement préjudiciable pour  toutes les victimes de viols. Vous dites "elle se laisse convaincre". Non elle ne se laisse pas convaincre car si cela avait été le cas la justice n'aurait pas conclu à la culpabilité de Pallardy. Si les féministes emploient régulièrement l'expression "céder n'est pas consentir", cela n'est pas sans raison, cela explique justement ce genre de cas où parce qu'elle est sous emprise, parce qu'il lui promet de la guérir de son cancer, parce qu'il lui promet que la maladie va l'emporter si elle ne revient pas, elle cède. Pierre Benichou va plus loin puisqu'il dit que cela n'a rien à voir avec un viol (une innocente jeune fille sous une porte cochère) et tout avec un acte sexuel. On est en plein dans les mythes sur le viol où, pour penser qu'il y a un viol, il faut une victime violée par un barbare la nuit dans la rue.

Seulement 10% des victimes féminines de viol portent plainte ; 90% ne le font pas.
Les femmes sont très souvent éduquées à ne pas se faire confiance ; ainsi lorsque j'ai mené une rapide enquête sur twitter à propos des agressions sexuelles dans le métro, beaucoup de femmes m'ont dit avoir été agressées mais avoir immédiatement douté d'elles mêmes. Beaucoup se disaient qu'elles avaient pu se tromper et mal interpréter un geste. D'autre craignaient de faire un scandale ou que les passagers se retournent contre elles au lieu de les aider face à l'agresseur. Le manque de confiance insufflé aux femmes est si fort que nous arrivons parfois à nous dire, malgré l'évidence, que nous nous trompons.
Dans le cas du viol, beaucoup de femmes sont également dans ce cas. Elles pensent mal interpréter les choses, ou avoir provoqué le viol. La honte est si forte ("comment ai je pu être aussi bête" "comment ai je pu ne pas voir") que beaucoup se sentent si coupables qu'elles ne vont pas porter plainte.
Contrairement aux idées reçues, le viol est surtout le fait de connaissances, et beaucoup moins fréquemment d'inconnus. Il est difficile, quand on connait la personne, quand on lui fait confiance, quand il a un certain pouvoir sur vous, une emprise, de se dire et s'avouer qu'on a été violée. Le viol n'est pas une évidence ; une personne violée va avant tout douter d'elle même, se demander pourquoi c'est arrivé, si elle ne l'a pas mérité ou provoqué.
Quand on est engagé dans un processus d'emprise (et dans le cas précis cette femme était malade d'un cancer en pleine récidive donc encore davantage fragilisée), on peut être amené à faire des actes qui peuvent paraître incohérents  au monde extérieur. C'est exactement ce qu'on voit dans les sectes, exactement ce qu'on voit dans les cas de violence conjugales où la femme, alors qu'elle peut partir, cherche encore et toujours des excuses à son agresseur parce que le lent processus mis en place - et qui a abondamment été étudié - a ruiné toute sa confiance en elle, l'a rendue entièrement dépendant du jugement de de l'agresseur. Comme le dit la victime de Pallardy "J'avais l'impression de n'être rien du tout et que grâce à lui j'allais remonter à la surface" ce qui est une phrase typique de personne sous emprise; Pallardy, profitant de son mal de dos, de son cancer récidivant, en a profité pour la manipuler et rentre l'inacceptable acceptable. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a été jugé coupable de viol aggravé. Par ailleurs, Pallardy a également agressé une jeune femme anorexique qui s'est depuis suicidée ; ce qui montre combien il avait l'habitude d'agresser des personnes en détresse physique et/ou psychique.

M. Pallardy était apparemment un homme extrêmement charismatique, médiatisé, un médecin qui plus est qui donc détient un certain pouvoir, et qu'on va voir alors qu'on est en état de fragilité. Comme le dit une des victimes ; il était connu et elle n'était rien. Qui l'aurait crue ?

Les personnes sous emprise ne sont pas des personnes faibles, ou manipulables ou "au QI inférieur" comme le dit Isabelle Mergault. L'actualité nous montre tous les jours des personnes agressées, escroquées et il ne s'agit pas, un seul instant, d'inverser les responsabilités ou de les minorer. Les manipulateurs, au sens le plus large, savent faire à peu près n'importe qui des choses dont ils se croiraient incapables et bien fat est celui ou celle qui pense être assez "fort" pour ne pas y succomber.

Vous animez une émission extrêmement populaire et vous avez, par vos propos, contribué à véhiculer des mythes sur le viol. En disant qu'elle y retournait alors qu'elle avait été violée, vous pouvez laisser croire qu'au fond elle a peut-être aimé cela. Pierre Benichou, lui, nie complètement le viol. Vous avez certes parlé de la culpabilité de Pallardy ; 2 minutes.. pour vous appesantir longuement sur cette femme et remettre en doute ce qu'elle a vécu.

Les associations de lutte contre le viol, les féministes luttent au quotidien pour que les victimes, hommes comme femmes d'ailleurs, puissent porter  plainte et ne se sentent pas coupables après un viol. Vos propos ne nous y aident pas et un rectificatif serait le bienvenue.


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