Périple (5)
Samedi 28 septembre 2013 Sainte Énimie – Meyrueis
Après la très sérieuse montée qui permet de quitter le bourg de Sainte Énimie et les gorges du Tarn, le chemin traverse le causse Méjean. Ici, l’expression « désert français » prend tout son sens. D’immenses pelouses, coupées de bois noirs et semées de rochers ne laissent voir que de très rares bâtisses presque toutes abandonnées. Dans les trois hameaux qu’on traverse, quatre maison sur cinq sont fermées. Le ciel est gris de nuages et l’impression d’ensemble plutôt mélancolique. Les dolmens et l’enceinte protohistorique portés sur la carte sont hors de vue, mais rien n’empêche de voir dans certains amoncellements de pierrailles le tumulus funéraire de la prêtresse d’un culte oublié ou du chef de tribus disparues.
Des croix jalonnent le parcours. L’une d’elles, dans le hameau du Buffre, daterait du XII° siècle. Pendant que je suivais une petite route, une voiture s’est arrêtée à ma hauteur. Son conducteur est un bénévole d’une association locale de randonneurs. Il s’inquiète de savoir ce que je pense du balisage. Il est de qualité et je l’en félicite. Nous parlons quelques instants « Ici, me dit-il, en hiver, il y a des congères hautes comme ça ! » et sa main dépasse le toit de sa voiture d’un bon mètre. Devant la croix du Buffre j’y repense, me demandant si, pour les habitants, elle joue le même rôle que le zouave du pont de l’Alma pour les Parisiens : l’état de catastrophe naturelle est-il proclamé lorsque la couche de neige atteint les pieds du Christ naïf dont l’érosion est en train d’effacer les doigts.
Dimanche 29 septembre 2013 Meyrueis - Le col de la Broue (en voiture)
Le col de la Broue – Avèze (à pied)
Aujourd’hui c’est la Saint Michel, jour de foire à Meyrueis. Dans la rue principale de la ville, les forains alignent leurs stands. Sans entrain : il pleut des cordes et les clients restent chez eux. Après les cordes, les hallebardes, elles ne suffisent pas à décourager deux vendeurs occasionnels. Ils ont installé un brasero fait maison avec deux demis bidons industriels. Dessus grillent des saucisses, des merguez et des brochettes d’où une odeur d’oignons grillés qui lutte comme elle peut avec l’humidité ambiante. Le tout est, mal, protégé par une bâche qui, dans des temps très lointains, a sûrement été bleue. Elle est fixée par des ficelles à une armature dans laquelle on retrouve la patte du fabriquant du brasero Voulant faire simple, il a fait cubique, résultat faute de pente l’eau s’accumule dans la bâche. Pour éviter qu’elle ne se déchire, tantôt l’un, tantôt l’autre des deux hommes la soulève à deux mains et une gerbe d’eau tombe, de façon très aléatoire, sur la rue ou sur le trottoir. Au moment où je passe, le plus grand des deux s’apprête à opérer, je presse le pas et j’échappe à la douche. Un roquet, qui errait en quête de rogatons, n’a pas cette chance. Toute l’eau de la bâche lui dégringole sur l’échine. Il lâche un jappement indigné et s’enfuit pendant que les deux comparses éclatent d’un rire que je n’ai pas honte de partager.
Dans la descente qui mène au Vigan, je croise mon premier olivier. Rescapé d’une oliveraie abandonnée, il lutte courageusement contre les ronces et les sauvageons qui ont envahi son bancel. Ses branches sont couvertes d’olives. Personne ne les cueillera, mais ce n’est pas très grave. Tel que le voilà, cet arbre est une leçon d’espérance.
(à suivre)
CHAMBOLLE