Un de mes contacts sur Twitter a récemment posté le message suivant : "Etre un homme ne veut pas forcément dire chercher un rapport de domination". Il réagissait au billet d'un père visiblement lassé d'être pointé du doigt du fait de son appartenance au genre masculin, et plus globalement usé par la guerre des sexes. Mon twitto s'inscrivait donc dans ce débat sur l'égalité homme/ femme et y apportait son écot.
En lisant ce commentaire j'ai eu un sourire en songeant à ce que dirait Henri Laborit, père de la biologie comportementale, en le lisant. J'ai beaucoup écrit ici sur ces travaux, sans préciser ce point pourtant central sur la recherche de domination qui guide une grande part de nos comportements. En voici donc l'occasion.
Pour bien comprendre le mécanisme de recherche de domination, il faut revenir à la base. Un organisme vivant, et l'homme en est un, n'a pas d'autre raison d'être que d'être. Ce n'est pas une considération spirituelle ou philosophique, c'est un constat biologique. Expliquons-le. Je laisse les croyants s'époumoner à m'expliquer pourquoi c'est horrible de s'en tenir là, je ne trouve pas ces considérations intéressantes. Tout organisme est conçu pour rechercher sa survie. Le temps est notre plus grand ennemi en la matière, et certes, c'est toujours lui qui gagne à la fin, mais cela ne change rien au mécanisme biologique qui nous gouvernent : rechercher la survie. Qu'on n'y arrive pas n'y change pas grand chose.
D'un point de vue biologique donc, tout ce qui se passe dans notre organisme concoure à notre survie. Le fonctionnement de nos cellules, de nos organes et de notre organisme est centré sur ce qui les fait se maintenir en bonne santé. La cellule cherche en permanence à maintenir la polarité de sa membrane autour d'une moyenne qui évite sa rupture, l'organe cherche à s'alimenter de façon continue en oxygène, nutriments, bref, tout ce qui sert à son fonctionnement, et l'organisme, chaque jour, cherche à boire, s'alimenter, se reposer (j'ajouterais se reproduire pour ma part, mais ça pourrait nous entraîner dans des explications compliquées). Ce sont nos besoins vitaux, ceux que nous devons satisfaire en premier dans la pyramide de Maslow. Pour résumer on pourrait dire que l'activité de l'organisme est en permanence de rechercher des sources d'énergie et de les transformer au profit de sa survie.
C'est pour satisfaire à notre survie que notre recherche de domination intervient. En deux mots, en dominant notre environnement, ce qui inclut les êtres qui s'y trouvent, on se donne des garanties plus grandes de survie. Lors de la révolution néolithique, ce phénomène s'est profondément accentué. Avec la notion de sédentarité est apparue la propriété privée. Je possède un terrain, il est à moi, et sur ce terrain je fait pousser les graines qui assurent ma subsistance. En protégeant mon terrain je protège donc mon alimentation. Et en agrandissant mon terrain, j'accrois ma sécurité à ne jamais manquer de rien. La guerre nait de la notion de propriété. Si tu ne possèdes rien qui puisse me procurer un bien-être ou une sécurité de survie plus grande, je n'ai pas de raison de t'envahir. Je n'approfondis pas plus ce point, vous pouvez relire cet ancien (et long) billet.
En dominant mon environnement, qu'il soit végétal, animal ou humain, j'augmente donc mes chances de survivre. Ce que nous dit Laborit, et qui est très difficile à accepter pour nous qui enrobons depuis déjà des siècles tous nos actes de valeurs, de principes, d'intentions, de morale, etc. c'est que nos actions sont presque toutes fondamentalement guidées par cette recherche de domination. Las dit-il, cette réalité nous est désormais totalement inaccessible car cette recherche est désormais dans le domaine de l'inconscient. Nous avons oublié que comme nous cousins les primates nous avons nous aussi un cerveau reptilien, et qu'il occupe une grande place dans nos comportements. Et comme le dit Clotaire Rapaille, dans nos décisions "le reptilien gagne toujours". C'est une réalité que les plus érudits refuseront en masse. Ils ne se sont pas élevés au-dessus des autres à force de travail et de lecture pour qu'on leur dise qu'en faisant cela ils n'ont fait que manifester la supériorité, de surcroit inconsciente, de leur cerveau reptilien ! Inacceptable. Essayez un jour de parler de biologie comportementale à des gens bien éduqués. Comptez ceux qui acceptent d'écouter. Vous verrez.
Pour répondre donc à mon sympathique twitto, la biologie comportementale dit ceci : être un homme (au sens être humain, ce qui donc inclut les femmes) signifie quasiment forcément rechercher un rapport de domination. C'est la matrice fondamentale de nos comportements. Qu'elle soit aujourd'hui inconsciente et que l'on sache presque toujours justifier nos choix, nos actions et nos décisions par des arguments logiques, moraux, spirituels ou autre n'y change rien. En fait cela ne fait que démontrer à quel point nous sommes devenus aveugles sur ce qui nous motive réellement. Et les débats de société en sont un exemple pour moi chaque fois plus criant.
Alors bien sûr nous ne faisons pas que cela, dominer. Nous sommes capables, et certains animaux aussi, de comportements de coopération, d'altruisme (rarement cependant là où on croit le dénicher), bref, d'une pensée qui modifie nos comportements au profit du groupe et non de nous-même, voire parfois à notre détriment. Remarquons que concernant la coopération, on trouvera souvent, et facilement, des exemples qui montrent en quoi ils nous sont aussi bénéfiques, et concourent donc à notre propre préservation. Concernant les comportements purement altruistes, ceux fait au bénéfice des autres et à notre détriment, nous pourrions également noter que dans bien des cas s'il sont au détriment de notre santé physique, ils sont au bénéfices de notre santé psychologique, ils satisfont nos croyances, notre équilibre psychique.
Mais surtout, les exemples de recherche de domination dans notre quotidien sont légion. Des plus évidents au plus discrets. On pourrait évoquer nos cravates et autres épaulettes de nos vestes. Franchement, elles servent à quoi les épaulettes dans une veste ? Je ne parle pas de nos voitures, là on est carrément dans le singe dominant parce qu'il a le cul plus rouge que ses congénères (je simplifie hein). Et pas seulement du fait du modèle de voiture choisie ou du tunning qu'on lui fait subir, mais aussi de notre comportement sur la route. Ni des organigrammes qui affirment la chaine d'obéissance à respecter. Mais il y a plus discret disais-je. Avez-vous remarqué par exemple, quand vous marchez sur un trottoir, qu'au moment de dépasser la personne devant vous, celle-ci fait toujours un premier mouvement vers le côté où vous êtes, réduisant ainsi votre espace de passage ? Soyons clairs, je n'y vois aucune intention consciente de ces personnes de bloquer le passage. Mais je suis un marcheur rapide, et je fais régulièrement cette observation. C'en est parfois même vraiment drôle.
Bref, ce serait amusant de compléter cette liste pour se rendre compte à quel point la recherche de domination envahit notre quotidien. Aujourd'hui c'est devenu tellement ancré qu'on ne s'en aperçoit absolument plus, ou tellement peu. Mais nos espaces urbains regorgent de signaux de domination. La publicité y fait d'ailleurs abondamment appel. Elle ne met plus en valeur le produit mais l'image que nous aurons de nous-même en acquérant tel téléphone ou tel parfum. Les réseaux sociaux sont d'ailleurs un très bon espace de recherche de domination. Le must est toujours d'y devenir "influent", de faire partie de l'élite, de ceux qui ont le plus de followers ou de like. Sur Linkedin il y a un classement dans les différents groupes auxquels ont peut participer, qui met en avant les plus influents. On recrée partout des pyramides de pouvoir, peu importe qu'elles soient officialisées par un statut ou non. Elles satisfont nos instincts humains. Car oui, et c'est la principale critique que l'on peut sans doute formuler à l'encontre de Laborit, la recherche de domination est profondément humaine, et l'on ne saurait donc nous en accuser sans tomber alors dans une forme d'absurdité. Je fais exprès de finir sur cette note un peu sombre, et qui ne représente pas tout à fait ma véritable opinion (ah les paradoxes !), pour ancrer une idée à laquelle je crois beaucoup car elle porte à mon avis une vraie efficacité : le travail à mener n'est pas tant de chercher à nous débarrasser de notre instinct de domination, il y a trop de boulot, mais de trouver les façons que cette recherche puisse se faire par bénéfices mutuels. Ce qui n'est pas une mince affaire non plus.