Salle 5 - vitrine 5 : tepemânkh - 14. pour conclure ...

Publié le 22 octobre 2013 par Rl1948

               Or donc, ce que l'on appelle "art" par le fait qu'il apaise les esprits de tous les hommes et qu'il produit l'émotion chez les grands et les humbles, pourrait constituer le point de départ d'un accroissement de longévité et de bonheur, un moyen de prolonger la vie ...

ZEAMI

La tradition secrète du Nô

(1418)

(Traduction René SUFFERT)

Connaissances de l'Orient

Paris, Gallimard/Unesco, 1960

pp. 92-3

     Au terme de nos différents rendez-vous à Tepemânkh consacrés, et alors que se profile, à l'horizon de la présente semaine, le congé scolaire belge de Toussaint, partant, de nouvelles vacances pour ÉgyptoMusée, je voudrais dans cette quatorzième et ultime rencontre, amis visiteurs, envisager avec vous quelques considérations conclusives. 

     Les moments que j'ai accordés à ce dignitaire palatial ayant vécu à la fin de la Vème dynastie et au tout début de la VIème, je les ai voulus placés sous l'aspect d'une double initiation : la première, générale, conformément aux finalités que je me suis fixées au sein de ce blog, envisagea une lecture minutieuse de l'image égyptienne ; la seconde, particulière, ressortit au domaine de la recherche des critères stylistiques des éléments qui la composent, aux fins de permettre un classement chronologique le plus précis possible des tombes - mastabas comme hypogées - de l'Ancien Empire. 

     Sans évidemment d'emblée vous en céder toutes les clés, je vous ai néanmoins entrouvert en son temps l'une ou l'autre porte menant dans les coulisses de cette quête en matière de datation, essentiellement sous la férule de l'égyptologue belge Nadine Cherpion : c'est donc en ayant encore à l'esprit mes quelques propos introductifs du 19 février dernier que, à tout le moins je l'espère, vous aurez appréhendé mes interventions des mardis 26 février, 5 et 12 mars dévolues à la seule table d'offrandes de Tepemânkh, ainsi que celle du 16 avril plus spécifiquement dédiée au siège sur lequel il était assis.

     Les trois dernières nous ont permis, souvenez-vous, de nous concentrer sur la représentation du défunt lui-même, entendez : sa tenue vestimentaire et sa perruque, le 1er octobre ; les gestes qu'il pose, le 8 et, le 15 et enfin la position qui est sienne dans la scène du repas funéraire qui fait l'objet de son bloc de calcaire E 25408 exposé ici devant nous au centre du grand mur-vitrine n° 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.


   Ce matin, en vue d'apposer le point final à l'étude qu'ensemble nous avons menée, et avant que tous, nous nous tournions bientôt vers de nouvelles vitrines, j'aimerais, conscient que mes propos vous sembleront peut-être quelque peu indigestes parce que relativement théoriques, m'avancer néanmoins plus avant dans l'explication des enquêtes réalisées par Madame Cherpion, tant en Égypte que dans plusieurs musées américains et européens.

     Lors de la rencontre du 19 février dernier que je viens de rappeler, j'avais très rapidement fait allusion à l'égyptologue américain d'origine allemandeKlaus Baer qui, dans un ouvrage magistral de 1960 plus spécifiquement axé sur les mastabas et les hypogées des Vème et VIème dynasties, - Rank and title in the Old Kingdom. The structure of the egyptian administration in the fifth and sixth dynasties -, avait établi un système de datation à partir des titres portés par les dignitaires qui en étaient propriétaires. 

     C'est à ce prédécesseur que Madame Cherpion emprunte l'expression latine qui caractérise ses recherches. En effet, des quelque 600 tombeaux qu'elle a étudiés, 234 affichent au moins un cartouche avec le nom d'un souverain. Dans ces sépultures-là, elle a relevé 64 critères pour établir ses propres données chronologiques qui n'ont la valeur que de ce qu'après K. Baer elle appelle un terminus ante quem non, signifiant ainsi qu'un mastaba ne date pas nécessairement de l'époque du roi mentionné mais, à tout le moins, pouvons-nous être assurés qu'il ne lui est pas antérieur.

     Permettez-moi de simplement citer quelques-uns des critères figurés que l'égyptologue belge a recensés et listés au sein de quatre catégories bien distinctes. 

     A propos des sièges sur lesquels les défunts sont assis, (première catégorie retenue par Nadine Cherpion) : disposent-ils ou non d'un dossier ? Sont-ils garnis ou non d'un coussin ? Et dans l'affirmative, de quelle forme est-il ?

Leurs pieds, thériomorphes, figurent-ils des pattes de lion ou de taureau ?

Ces sièges sont-ils ou pas décorés d'une ombelle de papyrus ?

     Considérant les tables d'offrandes et leur environnement, (deuxième catégorie étudiée) : de quoi son plateau se compose-t-il ? Pains, roseaux ou victuailles diverses ?

Ce plateau précisément, dispose-t-il ou non d'un pied ? Si oui, quelle forme a-t-il ?

Quant à l'environnement : qu'y a-t-il sous la table ? Des vases ? Une formule d'offrandes     ?

     La troisième catégorie envisagée par Madame Cherpion ressortit au domaine des vêtements et/ou des accessoires portés par le défunt : de quelle sorte de pagne est-il vêtu ? Quel type de perruque porte-t-il ? Arbore-t-il ou non des bijoux ?

     Enfin, en quatrième position, elle se penche sur la typologie de la stèle fausse-porte : comment ses montants se présentent-ils ? Quels sont les détails de son décor ? Que donne à voir le tableau central ?      

     Il ne faut toutefois pas oublier que pour peaufiner une datation, pour être certain de celle que l'on avance, à ces différents critères, à ces différentes quesions posées, il faut nécessairement que l'égyptologue en associe d'autres, relevant par exemple des caractéristiques architecturales du monument funéraire, des particularités du "menu" du défunt ou de sa liste d'offrandes, des types de scènes choisies par lui pour figurer sur les parois de sa chambre sépulcrale.

Sans oublier que des notions d'onomastique sont aussi à prendre en compte ...

     Un dernier regard posé sur le bloc E 25408 accroché dans la vitrine 5 ici devant nous vous convaincra, amis visiteurs, que certains des critères recensés par Madame Cherpion dans les trois premières catégories que je viens de très rapidement évoquer sont parfaitement repérables : ce sont eux que j'ai voulu, rappelez-vous, mettre à l'honneur tout au long de nos rencontres, certes pas dans l'intention de vous apprendre à dater une sépulture, mais plus simplement dans celle de vous permettre d'appréhender l'art égyptien avec des yeux semblables à ceux des artistes de l'époque et non, comme c'est trop souvent encore le cas, au travers du prisme de nos conceptions contemporaines.

     L'art, quel qu'il soit, constitue toujours - comme une langue, d'ailleurs -, le reflet des contingences d'un temps et d'un espace circonscrits : tous deux sont des langages dont la substance est imageante pour l'un et sonore pour l'autre. Tous deux se doivent donc d'être réfléchis à l'aune des modes de penser de cette époque et de ce lieu déterminés, et pas des nôtres ...      

     Avant de nous quitter, il me reste à espérer que de m'avoir suivi aux côtés de Tepemânkh vous aura invités à pleinement approuver les paroles de ce grand théoricien japonais du Nô que fut Zeami à propos de l'art, qu'il voit comme "point de départ d'un accroissement de longévité et de bonheur, un moyen de prolonger la vie ..."

      Belle fête d'Halloween et bon congé de Toussaint à tous.

     Au plaisir de vous retrouver pour de nouvelles aventures au Louvre - sans plus de Jack O'Lantern, voire l'un quelconque Belphégor dans nos parages - le mardi 5 novembre prochain.

(Cherpion : 1989, 7-75)