Stop ou encore ? L’opinion publique française face au nucléaire

Publié le 21 octobre 2013 par Delits

La politique énergétique est peu présente dans le débat politique actuel. La vigueur de la crise économique et sociale renvoie les thématiques environnementales au second plan. La question du nucléaire illustre à merveille cette logique : « est-il bien raisonnable de remettre en cause un fleuron industriel français et les emplois qu’il génère ? » serinent les partisans du nucléaire. Quelle force les arguments écologistes peuvent-ils avoir face à l’invocation de la première préoccupation des Français, le chômage ?

Cette hiérarchie n’est pas contestable. Quand on demande aux Français les sujets qui les préoccupent le plus, le chômage arrive nettement en tête, tandis que les questions environnementales, et notamment le nucléaire, restent peu citées. Ainsi, dans le baromètre de l’IRSN, 47% des Français mentionnent le chômage parmi les deux problèmes qui leur apparaissent les plus préoccupants aujourd’hui, 31% les conséquences de la crise financière et 27 % la misère et l’exclusion. Les thématiques économiques et sociales devancent donc largement « la dégradation de l’environnement » (13%), « les bouleversements climatiques » (8%) et « les risques nucléaires » (8%), eux-mêmes jugés moins importants que l’insécurité (15%).

Ce contexte explique largement pourquoi les efforts de certains pour remettre au cœur de l’agenda la question du nucléaire échouent (Greenpeace avec ses intrusions dans des centrales nucléaires, Delphine Batho lorsqu’elle dénonce les lobbies de l’industrie, notamment nucléaire, pour expliquer son limogeage, et plus récemment les questions d’EELV quand le JDD a affirmé que l’État envisageait de prolonger de dix ans la durée de vie des centrales nucléaires françaises). Si le sujet peut donner lieu à certains « couacs » (Arnaud Montebourg vs EELV et Philippe Martin notamment), la promesse présidentielle de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75% à 50% à l’horizon 2025 » n’a donné lieu, pour l’instant, à aucun acte fort, bien que la décision de la fermeture de la plus vieille centrale du territoire, Fessenheim, ait été réaffirmée par François Hollande. L’absence de consensus entre industriels et associations environnementales lors du débat sur la transition énergétique lancé par le gouvernement, et les divergences politiques au sein de la majorité encouragent à penser que le projet de loi à venir, prévu pour le printemps 2014, devrait être plutôt timide.

Face à ce débat complexe, l’opinion publique apparaît fluctuante et très soumise aux effets de contexte. Ainsi, en 2011, la catastrophe de Fukushima avait largement réactivé des craintes liées à la sécurité des centrales françaises et l’opinion s’était tournée vers des positions anti-nucléaires. Aujourd’hui, le souvenir de l’accident s’effaçant, les inquiétudes liées au pouvoir d’achat et au chômage rendent l’opinion plus perméable aux arguments qui avancent que le nucléaire permet de garantir une électricité à un prix faible et de maintenir les emplois sur les sites nucléaires.

Le consensus sur le recours au nucléaire n’existe pas

Le nucléaire dispose d’une place particulière en France, qui produit environ 75 % de son électricité par ce biais. Le tropisme des Français pour cette source d’énergie ne se dément pas. Celle-ci est perçue comme la garante de l’indépendance énergétique du pays mais aussi d’un prix compétitif de l’électricité. Aujourd’hui, les deux tiers des Français (67%) disent être favorables à la production d’énergie par des centrales nucléaires.

Ce premier résultat, très favorable au camp des partisans de l’énergie nucléaire civile en France, ne doit pas occulter la minorité conséquente des Français pouvant être qualifiés d’anti-nucléaires, puisque refusant la production d’électricité par ce biais. Ce camp représente tout de même un Français sur trois (32%), bien loin du faible poids électoral à la dernière élection présidentielle des partis prônant une sortie de l’atome (EELV et NPA).

En outre, si les deux tiers des Français acceptent cette production, ils ne sont pas aussi nombreux à considérer que cette source d’énergie présente un bilan positif. L’analyse coûts-avantages du nucléaire divise l’opinion. Lorsqu’on demande aux répondants de dire si l’énergie nucléaire propose « plutôt des avantages » ou « plutôt des inconvénients », c’est certes la position favorable à l’atome qui l’emporte, mais de manière relativement serrée. Dans une enquête réalisée par le ministère de l’Ecologie en avril dernier, 47 % estiment que le nucléaire présente « plutôt des avantages », tandis que 40 % jugent qu’elle comporte « plutôt des inconvénients ».

 

Cette étude indique également que l’opinion publique reste assez fluctuante sur le sujet et peut varier significativement en fonction du contexte. Elle s’était ainsi nettement inversée lors de la catastrophe de Fukushima (50% des Français estimant alors que le nucléaire présentait « plutôt des inconvénients » et 39% « plutôt des avantages »). Aujourd’hui, les scores enregistrés sont revenus à leurs niveaux pré-Fukushima, mais la tendance de longue période montre clairement une montée en puissance du camp de ceux pointant les inconvénients de cette source d’énergie.

Le sentiment bien présent d’une pollution diffuse issue des centrales

Après l’accident de Fukushima, les autorités et les exploitants des sites ont largement cherché à rassurer sur la sécurité des centrales françaises. Cependant, l’opinion publique nourrit de nombreux doutes sur ce sujet, inquiétudes déjà présentes avant la catastrophe japonaise et qui n’ont pas varié d’un iota depuis.

La dangerosité des centrales, à la fois sur l’environnement et la santé humaine, est une idée largement présente parmi les Français : 65% des Français estiment ainsi que la radioactivité des centrales provoquera des cancers (11% non, 23% peut-être) et 65% que les sites nucléaires peuvent provoquer une contamination des nappes phréatiques (11% non, 23% peut-être). De manière moins marquée, une proportion notable de Français considère que les centrales ont des effets néfastes sur leur environnement direct : 48% jugent que les produits alimentaires ne sont pas aussi bons qu’ailleurs à proximité de celles-ci (24% qu’ils le sont, 27% « peut-être »), 43% que les habitants ne sont pas en aussi bonne santé (27% qu’ils le sont, 29% « peut-être »).

Que ce soit une certitude ou une présomption, les Français apparaissent très majoritairement convaincus des effets néfastes des centrales. La proportion de répondants se disant certains que les centrales ne présentent aucun danger est très faible. Ainsi, seuls 22% des Français estiment que ces dangers sont « faibles ». Près d’un Français sur deux (45%) les qualifie au contraire d’« élevés » et 32% de « moyennement élevés ». Et seuls 20 % des Français déclarent qu’ils accepteraient de vivre près d’une centrale nucléaire. Le syndrome NIMBY (« not in my backayard ») joue ici à plein : largement favorables à la production nucléaire dans le pays, les Français refusent cependant très majoritairement de vivre à proximité d’une centrale et de voir leur environnement direct ou leur santé mis potentiellement en danger par une telle installation. Ce résultat ne surprend sans doute pas, mais il démontre surtout que la confiance des Français à l’égard de leurs centrales est réduite. Le sentiment bien présent parmi les Français d’une pollution diffuse issue des centrales renvoie naturellement à la perception d’un manque de sûreté des installations.

Une opinion publique qui doute très fortement de la sûreté du nucléaire en France

La sécurité des installations est un argument fondamental dans le débat sur le nucléaire, or elle est assez largement contestée. Seuls 43% des Français considèrent que « toutes les précautions sont prises pour assurer un haut niveau de sûreté dans les centrales nucléaires françaises ». 27% pensent que ce n’est pas le cas et 30% « plus ou moins ».

La surveillance exercée sur les installations est donc logiquement remise en question : seuls 32% des Français disent faire confiance aux autorités dans leurs actions de protection des personnes face aux centrales nucléaires. 42% déclarent, au contraire, ne pas leur faire confiance et 26% seulement « plus ou moins ».

L’évolution dans le temps montre l’incidence sur ce jugement des différents événements ayant touché l’industrie nucléaire, celle-ci étant plus ou moins importante selon le degré de gravité :

Évolution du pourcentage de Français faisant confiance aux autorités françaises pour leurs actions de protection vis-à-vis des centrales nucléaires1

  


Ce graphique montre la résilience de l’opinion publique face aux catastrophes nucléaires : si après celle de Fukushima-Daiichi, la proportion de Français déclarant ne pas faire confiance aux autorités publiques à propos des centrales nucléaires bondit de 10 points (de 39% à 49%), dès l’année suivante, elle baisse de 7 points (42%). L’ « oubli » des accidents n’est cependant pas total (ou du moins pas encore). En moyenne, sur les 5 dernières années, le manque de confiance face aux autorités est légèrement plus important qu’entre 1997 et 2007 et l’écart entre les « confiants » et les « défiants » tend à croître, l’addition de différents incidents et accidents ces dernières années alimentant une défiance grandissante et minant le soutien au nucléaire.

Ce manque de confiance repose sur le sentiment, très largement partagé, que la vérité sur le nucléaire est cachée au grand public. Seuls 19% des Français estiment que « l’on dit la vérité sur les dangers que les centrales nucléaires représentent pour la population ». 57% considèrent que ce n’est pas le cas tandis que 23% estiment que la vérité est « plus ou moins » dite à la population. Si ces chiffres sont également sensibles à la conjoncture, l’idée que l’on ment à propos des centrales est majoritaire depuis la première mesure de cette opinion dans le baromètre IRSN, il y a 20 ans (1992).

Le manque de transparence des autorités vise d’abord les politiciens, qui sont ceux dont la parole est le plus mise en doute : seuls 11% des Français considèrent que les hommes et femmes politiques leur disent la vérité sur le nucléaire en France. Les instances scientifiques sont les acteurs qui jouissent du plus grand crédit, avec cependant des différences notables : si 64% des Français estiment que le CNRS dit la vérité sur le sujet, ils ne sont que 50% à penser de même du Commissariat à l’énergie atomique. Celui-ci dispose donc d’une moindre confiance que les associations écologistes (57%), qui figurent parmi les acteurs les plus crédibles. Les industries du nucléaire, EDF (38%) et Areva (34%) suscitent majoritairement la défiance, en cohérence avec la remise en cause de leurs arguments sur la sûreté des installations nucléaires françaises.

Au final, les Français se montrent majoritairement favorables à une réduction du nucléaire, un sur trois soutenant même une sortie totale

Contrebalancés entre arguments économiques et arguments écologistes, les Français apparaissent divisés sur la politique énergétique et sur la question de la sortie du nucléaire. Une courte majorité (53%) déclare aujourd’hui être favorable à une sortie progressive de l’atome, tandis que 45% s’y opposent selon un sondage BVA. En juin 2011, trois mois après l’accident de Fukushima, six Français sur dix (60%) soutenaient cette diminution et seuls 35 % la refusaient dans une étude Viavoice.

La proportion de Français partisans d’une sortie totale est plus restreinte, regroupant les 32 % d’entre eux déclarant qu’ils sont défavorables à la production d’énergie par des centrales nucléaires. Cette opposition à l’atome est plus prégnante au sein des sympathisants de gauche. Près d’un sur deux (48%) s’oppose à la production d’énergie par des centrales nucléaires (contre 19 % des sympathisants de droite). Ce sont naturellement les sympathisants d’EELV qui se montrent les plus opposés à l’énergie atomique civile (76%). La position domine également à la gauche de la gauche (55 % des sympathisants Front de gauche / LO / NPA – le sondage ne faisant malheureusement pas la distinction au sein de cette famille entre les sympathisants des partis favorables à la sortie, PG et NPA, et ceux qui la refusent, PC et LO). Parmi les sympathisants socialistes, les anti-nucléaires sont néanmoins nettement minoritaires (39 % contre 61%), mais plus des deux tiers d’entre eux (69%) se montrent favorables à la réduction de la part de l’atome dans la production énergétique, en conformité avec l’engagement de campagne de François Hollande.

La remise en cause du dogme nucléaire semble donc faire son chemin dans l’opinion publique, celle-ci s’interrogeant de plus en plus sur la sûreté d’installations vieillissantes. Reste à voir si le gouvernement osera revenir sur la politique énergétique singulière de la France et s’orienter vers une transition énergétique déjà engagée par l’Allemagne.

  1. Données issues du baromètre IRSN. Pour simplifier la lecture, la modalité « plus ou moins » n’a pas été portée sur le graphique. [Revenir]