Faut-il désirer la faillite de la France ?
Publié Par Aurelien Biteau, le 21 octobre 2013 dans PolitiqueFonder une stratégie libérale sur le chaos et le désordre, c’est définitivement se tirer une énorme balle dans le pied.
Par Aurélien Biteau.
Or cette faillite, qui devrait signer la mort de notre social-démocratie d’après-guerre, convient-il en tant que libéraux de la désirer ? La faillite de la France doit-elle être espérée par les libéraux ? Nous avons tous entendu dire quelques fois, de façon plus ou moins sérieuse, que la faillite de la France serait un mal nécessaire qui mettrait fin au calvaire de notre pays – du moins au calvaire des libéraux, qui souffrent beaucoup d’avoir raison et de ne pas être entendus.
Mais la question se pose : la faillite semble inéluctable, mais sera-t-elle un bien qu’il nous faut désirer ?
Espérer la faillite, c’est en un sens espérer la purge nécessaire de notre pays afin qu’il puisse repartir de zéro sur des bases autrement plus solides que la social-démocratie. Lorsque l’État sera sans le sou (s’il daigne ne pas nous massacrer à coup d’hyperinflation), il devra bien, enfin, reconnaître et se soumettre totalement aux lois économiques, et vraiment pour la première fois, au sens fort du mot, économiser.
Malheureusement, comme à leur mauvaise tendance, les libéraux versent un peu trop dans l’économisme. La faillite économique de la France, l’incapacité de l’État de payer, seront sans doute la dimension la plus visible, la plus claire, la plus aisément saisissable de l’effondrement du pays. Mais ses incidences seront autrement plus nombreuses et obscures, et une faillite aura des répercussions politiques, géopolitiques, juridiques et morales bien plus terribles encore.
Pour qu’il y ait une purge économique qui se produise en faveur du bon sens et du respect des lois économiques, il faudrait encore que les conditions de cette réalisation soient rassemblées. C’est un tort de croire que l’économie l’emporte sur la politique et la morale. Milton Friedman espérait que des libéralisations économiques puissent favoriser l’essor de la démocratie et des libertés politiques. Ceci est vrai, je le crois, mais reste assez limité : on a bien vu, il est vrai, avec le cas chilien par exemple, que les libéralisations économiques avaient précédé l’apparition de la démocratie. Et partout où l’on a cherché à libéraliser, devant les nécessités économiques, comme en Nouvelle-Zélande dans les années 1980 ou en Suède dans les années 1990, il est vrai que la suppression de bureaucraties et la simplification de la vie économique a accru la liberté dans ces pays. Toutefois, sur le plan idéologique et institutionnel, ceci ne suffit pas. En Nouvelle-Zélande, en Suède, au Chili, le débilisme progressiste et le démocratisme extrême trouvent toujours un écho important, si ce n’est dominant. La philosophie libérale n’a pas percé, tandis que les folies et les demi-pensées contemporaines, incapables de la lucidité et de la critique, peuvent toujours régner sur les foules et constituer une menace à long terme.
Or la France est aujourd’hui non seulement dominée par ce type d’idéologie, mais elle n’a pas même l’espoir de se trouver des politiciens courageux et suffisamment patriotes pour libéraliser ce pays dans la tourmente.
Cette révolution est peut-être déjà en cours. Le gouvernement Hollande a mis un coup d’accélérateur et l’ordre social et l’ordre économique, déjà bien amochés, doivent subir cette nouvelle créativité législative. Les politiques consomment la France.
Dès lors, en tant que libéraux, qu’avons-nous à gagner à encourager nos adversaires à couler le pays ? Ils vont ouvrir la boîte de Pandore et laisser les pires philosophies avoir la marge de manœuvre nécessaire à leur expression.
Or la France et la civilisation française ne sont-ils pas un bien supérieur au chaos ? Ce serait faire preuve d’un manque cruel de prudence que d’approuver le déclin de la France. Beaucoup de libéraux ont du mal à aimer leur Nation, voire à lui reconnaître une réalité. Trop aisément on vient la confondre avec l’État qui la tue.
Mais il est nécessaire de reconnaître que la Nation est notre bien : elle cristallise des siècles d’évolution qui ont permis notre développement, et nous fournit le cadre de notre action. Je ne parle pas là à la manière d’un Obama qui prétend que les succès individuels sont dus à l’État. Mais nous ne naissons pas, en tant qu’individu dans un espace vide, clos et indéterminé : nous appartenons chacun à une famille que nous n’avons pas voulue, mais dans laquelle nous avons chacun été élevé. Et cette famille était française. Nous jouissons encore de l’énorme héritage français, culturel, capitalistique et civilisationnel. En naissant, et sans même le désirer ou sans pouvoir s’en affranchir, nous recevons beaucoup plus que tout ce que l’on pourra offrir en retour à notre pays durant toute notre vie. C’est ceci qui est notre bien, et si nous en partageons certains traits avec d’autres peuples, il est toujours distinct. Fait est que nous sommes Français, et qu’en dehors de France nous sommes des étrangers.
Ce que nous avons reçu en héritage mérite d’être défendu. Plus encore, il est d’une nécessité vitale pour chaque Français de maintenir la Nation française et ne pas laisser un État corrompu la défaire et l’affaiblir.
Espérer la faillite de la France, c’est espérer la destruction de ce qui est notre bien : pure folie. L’État français, bien sûr, n’est pas la France, mais sa faillite produira la faillite générale du pays. Ceci ne signifie pas qu’il faut soutenir l’État et l’encourager dans son œuvre de destruction. Il faut au contraire reconnaître l’urgente nécessité de l’engagement dans la défense de la liberté, condition de sauvegarde et de bonne santé de notre ordre social. La faillite est peut être inévitable, mais pour y faire face, il sera impératif que les libéraux soient organisés et ne refusent pas des alliances simplement pour raison de pureté doctrinale. Le monde tourne vite…
« Lassez faire » n’a jamais signifié « laissons-nous faire », et il n’est pas un ordre pour nous-même, mais un ordre pour l’État, impératif qu’il faut sans cesse lui rappeler.
L’engagement libéral peut prendre de multiples formes, à divers degré d’implication. Diffuser les articles de Contrepoints, assister aux conférences, tenir un blog, intégrer les réseaux libéraux, participer à des projets et aux associations libéraux, s’engager politiquement, militer pour le PLD ou autres partis, voire faire de l’entrisme, les voies sont nombreuses. Les jeunes libéraux peuvent suivre les formations de l’Institut de Formation Politique qui nous ouvre ses portes et permet de s’ouvrir à d’autres familles politiques proches non hostiles à nos idées, ou bien encore participer au réseau Students For Liberty.
Mais quoi qu’il en soit, et sans faire preuve de naïveté, ne commettons pas avec cynisme la grande bêtise d’espérer la faillite française ou de se détourner totalement de la Nation. Fonder une stratégie libérale sur le chaos et le désordre, c’est définitivement se tirer une énorme balle dans le pied. Ne serait-ce que sur le plan de la communication.
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