Quarante-huit heures plus tard, tout ou presque a été dit sur quelque chose qui reste un moment d'emballement et de confusion assez exemplaire.
1. François Hollande commet la triple erreur de réagir à chaud, sur un fait individuel, en proposant une solution qui mécontente paradoxalement tout le monde: il assume sa fermeté, mais offre à la jeune fille de revenir seule, au mépris du respect de l'intégrité des familles. En d'autres termes, Hollande a "individualisé" l'application d'une loi. "Compte tenu de sa prise en charge maladroite près d'un lieu scolaire, il a proposé à Leonarda, et à elle seule, de poursuivre sa scolarité en France" a complété Manuel Valls ce dimanche.
2. Il y avait pourtant matière à d'autres ouvertures, par exemple une revue plus générale de la juste application des lois et règlements en matière d'immigration. Pourquoi certains très jeunes enfants sont encore détenus dans les CRA ?
Hollande n'est pas seul à être ridicule. Non content d'avoir instrumentalisé le cas de cette Léonarda,
3. Ceux qui protestaient contre l'arrestation puis l'expulsion de Léonarda n'ont même pas applaudi à la "clémence" individuelle de François Hollande à l'égard de la jeune fille, ni à la sanctuarisation du cadre scolaire pourtant rappelée. Au contraire, on a entendu toutes sortes de cris d'orfraie criant à l'inhumanité des propos présidentiels.
4. Ceux qui protestaient contre les expulsions de clandestins, quelqu'en soit les motifs, auront à assumer le comportement du père Dibrani, tel qu'il est décrit par le rapport de l'IGS.
"(...) M.DIBRANI n’a pas hésité à user de menaces afin d’éviter d’être expulsé de cet appartement. Il a indiqué qu’il ferait exploser une bouteille de gaz devant l’ancien maire de Levier et un membre du réseau de défense des sans- papiers. Aux agents de l’office français d’immigration et d’intégration, qui lui proposaient une aide au retour (8500 €, la première fois; 10.000€ une deuxième), il a annoncé qu’il tuerait sa famille s’il était expulsé. M.DIBRANI a également été placé en garde à vue pour un cambriolage par la communauté de brigade de Saint-Vit le 14 octobre 2010. Il a aussi été mis en cause comme auteur dans un vol commis dans une déchetterie à Levier (communauté de brigade de Pontarlier) (...)". (Source: Rapport de l'IGS, page 17)Dans sa réaction à la déclaration de François Hollande, Olivier Dartigolles, porte-parole du parti communiste, dénonce: "La ligne Valls, dans la continuité du sarkozysme, est confortée alors qu'il faut changer la loi et mettre fin sans délai à toutes les expulsions de jeunes étrangers scolarisés." Est-ce à dire que le PCF, et plus largement le Front de Gauche, réclament la régularisation et le retour de la famille Dibrani malgré les conclusions du rapport de l'IGS ?
Dans un communiqué publié ce 19 octobre, l'association "La voix des Rroms" conteste la description qui a été faite du père de Léonarda: "Reshat Dibrani, le père de Lénoarda, qui a été injustement décrit comme un monstre, ne semble pas avoir fait de grandes études".
5. D'autres critiques ont poursuivi le débat, le weekend durant, jusqu'à proposer encore davantage d'individualisation du traitement de cette famille Rom: pourquoi donc Léonarda ne pourrait-elle pas revenir avec sa fratrie et/ou sa mère ? Quelle conclusion politique faut-il retenir de ce tricot sur-mesure ? Que le regroupement familial doit être proscrit quand l'un des parents ne respecte pas la règle ?
6. Cette affaire aurait pu permettre de clarifier un débat à gauche: l'ampleur de cette excitation collective tient à un désaccord de fond et ancien sur la régularisation générale des sans-papiers. Cette dernière était exclue du programme socialiste (*), tout comme du programme présidentiel de François Hollande (engagement numéro 50: "(...) les régularisations seront opérées au cas par cas sur la base de critères objectifs."). Elle figurait au contraire dans celui du Front de gauche (**), sans pour autant faire l'unanimité en son sein (cf. les réactions discordantes de quelques élus communistes).
Cette déclaration de François Hollande, la voici.
Au cas où.
"Les conditions de l’éloignement de la jeune Leonarda ont suscité, et je le comprends parfaitement, une légitime émotion, notamment dans la jeunesse. Car la France c’est un pays de droit et de liberté, et c’est ce qui fait le fondement même de notre République : être ferme, car c’est nécessaire pour vivre ensemble, et en même temps être humaine, parce que c’est ce qui fonde notre capacité à vivre en commun.
C’est pourquoi le gouvernement a demandé, dès qu’il en a eu connaissance, une enquête sur ce qui s’était produit dans ce collège, ou dans le transport scolaire, concernant la jeune Leonarda.
Le rapport vient de m’être remis par le ministre de l’Intérieur. Ses conclusions sont claires.
- D’abord, l’enquête confirme qu’aucune règle de droit n’a été enfreinte dans l’examen de la situation de la famille de Leonarda ;
- Et pas davantage dans la décision de mettre en œuvre l’obligation de quitter le territoire, parce que toutes les voies de recours avaient été épuisées.
- Mais l’enquête indique aussi que l’interpellation de la collégienne s’est déroulée à l’occasion d’une sortie scolaire. Même si la prise en charge de la collégienne a eu lieu à l’abri des regards, c’est une infraction par rapport à ce que l’on peut penser être la possibilité d’interpeller une enfant.
- Il n’y a donc pas eu de faute, et de ce point de vue, la loi a été parfaitement respectée. Mais il y a eu un manque de discernement dans l’exécution de l’opération.
J’en tire, à mon tour, trois conclusions :
- La première, c’est que les valeurs de la République, c’est le respect de la loi. La loi doit s’appliquer. Ça vaut pour le droit d’asile, qui d’ailleurs devra être encore réformé pour accélérer les procédures, pour ne pas avoir ce nombre de déboutés qui ensuite restent sur le territoire, parce qu’ils y sont là depuis trop longtemps. La force de la loi, c’est d’avoir une politique de l’immigration qui soit claire, avec des conditions pour le droit au séjour. Le respect de la loi, c’est de traduire les conséquences d’une obligation de quitter le territoire pour les personnes qui n’ont pas à y rester. Et la force de la loi, c’est la condition pour qu’il y ait à la fois une politique d’immigration et une politique de sécurité, que chacun peut comprendre.
- Les valeurs de la République, c’est aussi l’école, et ce qu’elle représente : un lieu d’émancipation, d’intégration. L’école, elle doit être préservée des conflits de la société. Et là, je considère que nous devons faire preuve de plus grande clarté. C’est pourquoi une instruction sera adressée aux préfets, par le ministre de l’Intérieur, prohibant toute interpellation d’enfant dans le cadre scolaire, aussi bien dans les établissements que dans les transports, les sorties, ou les centres de loisirs. L’école doit être préservée, parce que c’est un lieu où les enfants doivent être eux-mêmes en sécurité. Et donc l’instruction ne laissera aucun doute sur la volonté du gouvernement et la manière avec laquelle nous devons agir.
- Enfin, les valeurs de la République c’est de tenir compte de situations humaines. Et par rapport au cas de cette jeune fille, Leonarda, si elle en fait la demande – compte tenu des circonstances – et qu’elle veut poursuivre sa scolarité en France, un accueil lui sera réservé, et à elle seule.
La France, je l’ai dit, c’est la République, la République c’est la fermeté dans l’application de la loi, et c’est l’humanité aussi dans ce que doivent être nos procédures. Je veille à chaque occasion à ce que le gouvernement et le ministre de l’Intérieur puissent mener la politique que j’ai déterminée. Et en même temps, je veux – avec le Premier ministre – qu’il y ait des règles qui puissent être chaque fois interprétées dans le meilleur sens pour notre République.
Et cette affaire a été l’occasion d’une clarification, et désormais, il n’y a plus de doute sur ce que doit être l’école, sur ce qu’il est possible d’y faire, et je pense que ça apaisera, tout en permettant à la loi de s’appliquer."
(*) paragraphe 6.1.2, page 21 dans le programme du PS pour 2012 ("Nous proposerons un processus de régularisation pour les travailleurs étrangers et les parents d’enfants scolarisés sur la base de critères clairs et transparents et s’appliquant à tous de manière égale sur le territoire national.")
(**) page 21 du programme "L'Humain d'abord": "Nous régulariserons les sans-papiers dont le nombre a augmenté du seul fait des réformes de la droite. Nous décriminaliserons le séjour irrégulier, nous fermerons les centres de rétention, nous rétablirons le droit au séjour pour raison médicale. Nous respecterons scrupuleusement le droit d’asile qui sera déconnecté des politiques migratoires."
Lire aussi: le rapport de l'IGS.