Lampedusa, l'odyssée d'un ghanéen

Publié le 20 octobre 2013 par Busuainn_ezilebay @BusuaInn_Ezile

De Lampedusa aux rues de Berlin, l'odyssée d'un migrant ghanéen



Berlin (AFP) - Installé dans un abri en contreplaqué qu'il a lui-même édifié sur une place de Berlin, Johnson Takyi, immigré ghanéen passé par Lampedusa, se souvient avoir déconseillé à son frère de tenter lui aussi l'aventure vers l'Europe.
"Je lui avais dit de ne pas venir. Je lui disais qu'il n'y a pas de travail pour nous en Europe et qu'on se retrouve à dormir dans la rue", explique à une journaliste de l'AFP cet homme de 43 ans, dans un anglais approximatif, assisté par une élue berlinoise des Verts.Mais son frère, de neuf ans son cadet, a quand même voulu tenter sa chance. "Il est mort noyé, il était à bord de l'embarcation" qui a fait naufrage début octobre, faisant plus de 300 morts au large de Lampedusa, l'île européenne la plus proche de la Libye et de la Tunisie, affirme-t-il.Interrogées par l'AFP, les autorités italiennes n'étaient pas en mesure de confirmer ou d'exclure la mort de son frère dans ce naufrage.Le regard rempli de tristesse, Johnson Takyi évoque de sa voie douce l'embarcation de fortune qui l'a lui-même mené de la Libye à la petite île italienne, deux ans avant son frère."Je travaillais depuis six ans en Libye, mais lors de la chute du régime Kadhafi, on a accusé les immigrés d'Afrique d'être du côté du régime du dictateur", explique-t-il.Hospitalisé en Libye en raison d'une blessure à une jambe, il est embarqué de force en pleine nuit sur un bateau avec une centaine d'autres Africains dans la même situation. Il échoue à Lampedusa "dans un camp bondé" où il passe 12 jours avant d'être envoyé par les autorités italiennes dans une autre région."En Libye j'étais charpentier et je gagnais suffisamment d'argent pour en envoyer à ma famille. Je ne voulais pas venir en Europe", poursuit-il, assis sur d'épaisses couvertures qui font office de lit dans cet abri de 2 ou 3 m2, humide et sans eau courante.Victime des soubresauts de la révolution libyenne, il raconte lentement, d'une voie posée, son odyssée à travers l'Europe jusqu'à Berlin où il est arrivé il y a six mois, sans un sou, sans un toit.Il dit avoir "obtenu un permis de séjour d'un an et huit mois en Italie" l'autorisant à circuler dans les 26 pays européens de l'espace Schengen. Johnson Takyi n'a pas de travail alors il décide de tenter sa chance en Allemagne d'autant que, dit-il, les Italiens lui ont donné 500 euros pour partir ailleurs."A Berlin, j'ai d'abord marché dans les rues avant de rencontrer quelqu'un qui m'a conduit ici", souligne-t-il.Ici, c'est un "un camp de réfugiés", installé sous des tentes exposées au froid et qui prennent l'eau en cette journée automnale pluvieuse, sur une place du quartier turco-alternatif de Kreuzberg.Depuis un an, un groupe de réfugiés, la plupart originaires d'Afrique noire et passés par Lampedusa, campent ici. Ils réclament notamment d'obtenir l'asile politique. La mairie de Berlin vient de promettre de leur trouver un toit en dur pour l'hiver.Un petit groupe a également entamé une grève de la faim à la Porte de Brandebourg pour appuyer ses revendications.L'abri de Johnson Takyi est impeccablement tenu. Pour se réchauffer un peu, il a installé des couvertures le long des parois tandis qu'une glaciaire lui permet de conserver quelques vivres."Mais on n'a plus de douches et les sanitaires mobiles ne sont plus en bon état", dit-il. Tolérants au début, certains habitants du quartier dénoncent désormais les odeurs de cuisine et les nuisances nocturnes autour du "camp".Johnson Takyi survit grâce aux associations caritatives ou à des habitants qui offrent vivres et vêtements.L'avenir? Johnson Takyi ne songe pas à rentrer au Ghana. "Je veux travailler et gagner de l'argent pour pouvoir en envoyer à nouveau à ma famille", dit-il.
Lu dans Nouvel Observateur