Le 24 septembre, de nombreux journaux nationaux ou locaux ont cité une phrase de Manuel Valls :« les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». Avant que ne fleurisse hélas la novlangue, cette locution était surtout employée dans les actes juridiques pour signifier qu’un sujet réunissait les conditions nécessaires pour faire valoir un droit déterminé : ainsi, tout enfant a vocation à être appelé à la succession de ses parents. Mais affirmer que des personnes ont vocation à, c’est à dire ont un destin comme pré-déterminé par quelque créateur omnipotent, c’est leur refuser toute liberté dans la conduite de leur existence. Nombreux sont les individus qui ont suivi des voies totalement différentes de celles que leur origine laissait supposer. Ainsi par exemple, le petit Manuel Carlos, né en 1962 à Barcelone, dans l’Espagne franquiste, avait-il vocation à devenir un ministre de la République française ?
Cette expression, dans la bouche de notre ministre de l’Intérieur, me semble être apparue avec une certaine insistance il n’y a pas si longtemps. Jean Véronis, un linguiste de l‘Université d’Aix-en-Provence, disparu accidentellement le mois dernier, avait étudié les discours prononcés au cours de la campagne présidentielle de 2007. Il avait relevé 5 fois la présence de cette expression dans 166 discours prononcés par d’autres orateurs que Nicolas Sarkozy, soit une fois tous les 33 discours, tandis qu’il l’avait comptée 21 fois dans les 63 discours lus par le candidat Sarkozy, soit une fois tous les 3 discours, soit dix fois plus que tous les autres orateurs réunis. A ce niveau, ce n’est plus une formule prononcée sans intention particulière, c’est au contraire l’affirmation d’une conviction solide, ferme, irréfragable et stérilisante : dès sa naissance, l’homme est soumis au Destin et aucun libre-arbitre ne lui permettrait d’échapper au sort qui lui est promis.
Du temps de François Mitterrand, j’avais remarqué que certains de ceux qui gravitaient autour de lui avaient tendance à emprunter son vocabulaire et surtout sa prosodie, le rythme de ses phrases. Je suis aujourd’hui surpris par le cousinage verbal que je découvre entre notre précédent président et notre actuel ministre de l’Intérieur. Espérons qu’il ne soit que verbal.