Distinguer le sujet et l'objet

Publié le 20 octobre 2013 par Anargala

Voici la traduction d'un petit texte enseignant la non-dualité. Il comporte de nombreuses citations d'autres textes, notamment du Yogavāsiṣṭha. Il est presque entièrement cité (ou bien cite lui-même) la Sarasvatī Upaniad. L'édition de 1910 des œuvres de Śakara l'attribue... à Śakara.Le couplet trente, souvent cité au XXe siècle, reprend un couplet célèbre de la spiritualité de l'Inde d'avant le XIIe siècle. Il est par exemple cité par le Vijñāna Bhairava et par un disciple du bouddhiste Advayavajra, ou encore dans ce texte contemporain, semble-t-il. On le trouve même dans l'Uttaragîtâ (III, 9) du Mahâbhârata. Voici le vers qui revient dans toutes les variantes :Partout où va l'esprit... yatra yatra mano yāti...J'avais consacré plusieursbillets à ses évolutions.

Distinguer le sujet et l'objet (Dgdṛśyaviveka)

ou Le Nectar de la doctrine (Vākyasudhā)


La forme est un objet perçu. L'œil est (sa) perception. L'(œil) est (lui-même) un objet perçu. Le mental est (sa) perception.L'activité mentale est (elle-même) un objet perçu.Le Témoin est (sa) perception. Mais lui n'est pas un objet perçu (par autre chose) ! 1Les formes que l'on perçoit sont variéesA cause de différentes (circonstances)Telles que bleu, jaune, grossier, subtil, court, long, etc.L'œil (en revanche), les voit dans l'unité, simultanément. 2Le mental peut concevoir ensemble et simultanément Les états de l'œil Comme la cécité, la faiblesse ou l'acuité.Il en va de même pour les états de l'oreille, de la peau et des autres (organes de perception). 3La conscience fait apparaître ensemble et simultanémentDésir, résolution et hésitation, confiance et défiance,Agitation et repos, timidité, Intelligence et autres (états mentaux). 4Cette (conscience) n'apparaît ni ne disparaît.Elle ne grandit pas, ne meurt pas.Elle se manifeste d'elle-même,Tout en manifestant le reste sans intermédiaire. 5Parce qu'un reflet de la conscience pénètre l'intellect,Ce dernier est capable de manifester.L'intellect comporte deux aspects :L'ego et l'organe interne. 6 L'unité du reflet (de la conscience) et de l'egoEst comparable à l'unité du feu et d'une boule de métal chauffée à blanc.A cause de l'identification avec cet ego,Le corps paraît conscient. 7L'identification de l'ego avec Le reflet de la conscience, le corps et le témoinEst de trois sortes, respectivement :Innée, engendrée par l'activité, et engendrée par l'illusion. 8L'(identification) innée (de l'ego avec le reflet de la conscience dans l'intellect)Ne cesse pas tant que ces deux éléments sont (considérés comme) réels.Les deux (autres sortes d'identification) disparaissent, respectivement,Avec la cessation des activités et l'éveil. 9Dans l'état de sommeil profond, quand l'ego est résorbé,Le corps est, de même, privé de conscience.Quand l'ego est à moitié réveillé, c'est l'état de rêve.Quand il est pleinement réveillé, c'est l'état de veille. 10De plus, les activités mentales Semblent ne faire qu'un avec le reflet de la conscience. En forgeant (peu à peu) des traces résiduelles durant l'état de rêve,La conscience imagine, par ses organes, des objets extérieurs. 11Ce corps (fait de traces résiduelles), dépourvu de conscience,Est l'unique substrat du mental et de l'ego.Il est conditionné par les trois états :Il naît et il meurt (de façon répétée). 12De fait, l'illusion a deux pouvoirs :Celui de projeter et celui de cacher.Le pouvoir de projection projette le monde,Depuis celui de l'(individu dans son) corps subtil et jusqu'à la sphère de Brahmā. 13La "création", c'est le déploiement des noms et des formesDans l'Immense qui est être, conscience et félicité,A la manière de l'écume et des vaguesDans l'océan[1]. 14L'autre pouvoir (de l'illusion, celui d'occulter,) est la cause du cycle des renaissances.A l'intérieur, l'illusion cacheLa distinction entre le sujet et l'objetEt à l'extérieur, elle cache la distinction entre le monde et l'Immense. 15 Le corps subtil, associé au corps (grossier),Se manifeste devant le Témoin. Parce qu'il est pénétré par un reflet de la conscience,Il devient l'être vivant, agent de la vie quotidienne[2]. 16Cette vie apparaît,Par confusion, dans le Témoin (lui-même).Mais quand cette occultation cesse, la différence (entre le Témoin et l'être vivant) Apparaît clairement, et cette (vie relativement réelle cesse). 17De même, ce pouvoir (d'illusion) cache La différence entre le monde et l'Immense.A cause d'elle, l'Immense sembleAffecté (par le monde). 18Et là encore, quand cesse cette occultation,La différence entre le monde et l'ImmenseApparaît clairement.Les changements affectent le monde,Jamais l'Immense.L'objet a cinq aspects :L'être, l'apparence, l'attachement, la forme et le nom.Parmi ces cinq aspects, seuls les trois premiers sont l'Immense[3].Les deux derniers sont le monde. 20Dans l'espace, l'air, le feu, l'eau et la terre,De même que chez les dieux, les animaux et les hommes,Être, conscience et félicité sont égales. Ils se différencient par les noms et les formes. 21Il faut détourner le regard des noms et des formes,Et ne viser que ce qui est être, conscience et félicité,Pratiquant ainsi la contemplation sans cesse,Que ce soit dans le cœur[4] ou à l'extérieur. 22La contemplation dans le cœur est de deux sortes :Avec ou sans concept[5].La contemplation avec concept est aussi de deux sortes : Elle se focalise sur des objets ou des mots. 23Le désir et autres contenus mentaux sont des objets perçus.Que l'on médite la conscience comme témoin (de ces contenus).Cette contemplation conceptuelleEst celle qui est conditionnée par des objets perçus. 24"Je suis sans attaches, Je suis être, conscience et félicité,Je suis évident et libre de dualité".Cette contemplation conceptuelle Est celle qui est conditionnée par des mots. 25 Dans la contemplation sans concepts, en revanche,On se détourne des mots et des choses,Car on est comme possédé par la délectation de l'expérience du Soi,A l'image d'une flamme à l'abri du vent. 26.Tout comme dans le cœur, on peut contemplerN'importe quel objet extérieur. La première (sorte de contemplation extérieure, avec un objet comme support,) porte sur l'être pur et simple,Séparé des noms et des formes. 27La méditation ininterrompue du réelHomogène et définit comme être, conscience et félicité,Est la seconde sorte de contemplation, (Celle qui prend des mots comme support). 28La troisième (sorte de contemplation intérieure, sans support, sans concept),Est comme dans la (contemplation intérieure sans concept),Une immobilisation (du mental) à cause de la délectation savoureuse (du Soi).Ces six contemplations doivent être pratiquéesSans interruption. 29Quand l'identification au corps a disparue,Quand le Soi ultime est reconnu,Alors il y a contemplation, Où que l'esprit aille. 30Quand on voit ce Bien Souverain,Les nœuds du cœur sont tranchés,Tous les doutes sont éradiqués,Les conséquences des actes sont anéanties. 31Il faut savoir qu'il y a trois sortes d'être vivant :La troisième est la manifestation ininterrompue de la conscienceImaginée (comme) dans un rêve.La première est l'être vivant au sens ultime. 32[6]La délimitation (de la lumière consciente dans le temps et l'espace)Est imaginée.Mais en réalité, elle est ininterrompue.Dès lors, la condition d'être vivant est due à une confusion,Tandis que le fait d'être l'Immense est notre vraie nature. 33L'être vivant ininterrompu, sans limites,[7] Est pleinement identique à l'Immense, Comme le déclarent (les Védas) dans les phrase comme"Tu es cela".Mais pas les autres (formes de l'être vivant, celles qui sont imaginées par confusion). 34L'illusion présente dans l'ImmenseEst une activité de projection.Elle cache l'absence de séparation Et imagine (une séparation) entre le monde et l'être vivant. 35L'être vivant est un reflet, une simple apparence de la conscience dans l'intellect.Il devient ainsi l'être qui fait les expériencesEt qui en souffre les conséquences.Tout ce qui peut être expérimenté, tout cela qui est faitDes éléments et de leurs dérivés,Est le monde. 36Ce couple (de l'être vivant et du monde)Se côtoient depuis des temps sans commencementEt jusqu'à la délivrance.Mais ils ne sont qu'une façon de parler. 37Ce sommeil projette (la dualité) et cache (l'unité),Parce qu'il est un reflet de la conscience.D'abord il enveloppe l'être vivant et le monde, Il les projette de nouveau. 38Parce qu'ils ne sont présents qu'au moment où ils apparaissent,Le monde et l'être vivantSont tous les deux des faux-semblants. Car de fait, une fois réveillé,Ils ne sont plus présents comme dans le rêve. 39Cet être vivant qui n'est qu'un faux-semblant Considère ce faux-semblant de mondeComme étant réel.Mais, du point de vue du sujet conventionnellement réel,Ce monde est faux. 40Le sujet conventionnellement réel Considère que le monde est conventionnellement réel. Mais pour le absolument sujet réel,Ce monde est faux. 41Quant au sujet absolument réel,Il considère que seul l'Immense est réel.Il ne considère rien d'autre,Car il voit qu'il est irréel. 42La douceur, la fluidité et la fraîcheur Sont les attributs de l'eau.Elles sont inhérentes à la vague Comme à l'écume qui sont leur substrat. 43De même, les Témoin qui est être, conscience et félicitéSemble être conditionné par tout ce qui relève Du langage et de la vie quotidienne,Et aussi par les apparences (conventionnellement) fausses. 44Quand l'écume disparaît, Ses attributs, comme la fluidité, par exemple, "disparaissent"dans la vague.Quand cette vague elle-même disparaît dans l'eau,Ses attributs "disparaissent" dans l'eau. 45Quand la vie totalement illusoire[8]disparaît,Elle "disparaît" dans la vie conventionnellement réelle[9].Quand celle-ci disparaît,Elle "disparaît"Dans le Témoin, dans l'être, la conscience et la félicité. 46

[1]Il y a trois niveau de réalité : le faux-semblant (prātibhāsika), comparé à l'écume ; Le conventionnellement ou relativement réel (vyāvahārika), comparé à la vague ; et l'absolument réal (pāramārthika), comparé à l'eau ou l'océan. [2]Et donc de la réalité relative.[3]L'être (asti) correspond à l'être (sat), l'apparence (bhāti) à la conscience, et l'attirance (priya) à la félicité. [4]Dans l'intellect (buddhi). Ce qui signifie simplement que l'on médite sur l'expérience privée.[5]Ou imagination, ou construction mentale dualisante (vikalpa). N'implique pas nécessairement l'abstraction. Une image, une sensation ou une émotion sont aussi des vikalpas.[6]Il semblerait qu'il manque un couplet. [7]En lisant avicchinna au lieu de avacchinna.[8]Un rêve, par exemple.[9]C'est-à-dire l'état de veille.