Booka Shade est certainement l'un des meilleurs et des plus productifs duos allemands de musique électronique au même titre que M.A.N.D.Y., que nous avions interviewé il y a quelques années. Aujourd'hui, nous sommes de retour avec une nouvelle interview exclusive, celle de Booka Shade, juste avant la sortie de leur cinquième album studio "Eve". Ces producteurs sont par ailleurs à l'origine de titres pour Get Physical, Systematic ou encore Studio K7!. Le duo composé de Walter Merziger et Arno Kammermeier est surtout l'un des piliers de la scène de musique électronique allemande et fondateurs de Get Physical. Cette interview fait suite notamment à celles d’autres producteurs berlinois comme Fritz Kalkbrenner, Thomas Schumacher, Wankelmut ou encore M.A.N.D.Y. évoqué plus haut. Tout d'abord nous tenions donc à remercier le duo qui a répondu à nos questions avec plaisir. Bonne lecture !
" Salut Booka Shade,
Honnêtement, c'est un réel plaisir de vous interviewer, parce que j'ai découvert votre musique il y a presque 10 ans, notamment "Vertigo" en 2004. Depuis cela a toujours été un plaisir d'écouter vos morceaux, dont récemment votre remix de Woodkid « I love you » sorti au début de l'année et # 1 dans les charts allemands. Je suis enfin très impatient de voir la sortie de votre nouvel album, la raison principale de cette interview!
En effet, dans quelques jours sera publié votre nouvel album studio "Eve" avec des pistes fantastiques comme "Many Rivers", "Love Inc." et "Kalimera". Pourriez-vous en quelques mots nous expliquer comment est né ce projet ?
> ARNO : merci beaucoup. EVE a été un projet long et douloureux. Nous avons commencé à écrire les premières notes au milieu de l’année 2010 ! Après un an et demi nous nous sommes rendus compte que nous n’étions pas satisfaits de la musique que nous avions produit. Il manquait quelque chose. Nous sommes finalement arrivés à la conclusion que nous devions changer la façon dont nous produisions nos albums dans le passé ou alors nous devions nous séparer. Ce fut la période la plus sombre de Booka Shade.
Pour une des premières fois vous avez invité quelques amis à travailler sur vos pistes comme Fritz Helder (d’Azari & III) qui prête sa voix à « Love drug », ainsi que Fritz Kalkbrenner pour “Crossing borders”. Pourriez-vous nous expliquer un peu ce choix de collaborations et pourquoi ces artistes en particulier?
> WALTER : Au début, le concept de Booka Shade se concentrait sur ce qu’Arno et moi-même pouvions faire avec nos quatre mains et nos deux voix. Pas de musiciens invités ou de producteurs externes. Au fil des années, nous avons ouvert ce concept (en commençant par Yello sur l’album “More!” en 2010) et nous avons demandé à des producteurs que nous avions remixé (comme Fritz Kalkbrenner) s'ils aimeraient participer à l’un de nos nouveaux tracks.
Le contact avec Fritz Helder est venu via notre management. Nous l'avons rencontré à quelques reprises en tournée quand nous avons joué dans les mêmes festivals ou les mêmes clubs. Puis nous l’avons rencontré à Berlin un jour et nous sommes allés en studio pour écrire “Love drug”. Pour le titre avec la voix de Fritz Kalkbrenner, nous avions au départ un sample avec un trombone mais cela sonnait un peu faux et nous l’avons alors remplacé par un vrai. Nous avons donc demandé à notre ami Andy Cato de Groove Armada s'il pouvait jouer ce sample réellement. Il a fait un travail parfait.
D'ailleurs pourquoi "Eve" comme nom d’album ? J'ai lu quelque part que l’aviez nommé en souvenir du nom de votre studio à Manchester.
> Walter: Après une période assez frustrante entre 2011 et 2012, nous avons décidé de changer notre façon de produire en allant chercher l’inspiration dans un nouvel environnement. J'avais lu à l’époque un article sur un studio intéressant à l'extérieur de Manchester.
La liste des équipements semblait très prometteuse et nous avons alors réservé le studio pour quelques jours. Il a tout changé. L'endroit était magique, plein d’instruments étranges, de nombreux compresseurs, des plaques de réverbération, des synthés et des tables de mixage dans tous les sens. Ce fut une période incroyable où nous nous sommes retrouvés musicalement, comme un vrai groupe. Après cette expérience, tout était réuni pour réussir. Il nous a tout de même fallu 15 mois pour terminer l'album à Berlin. EVE nous a sauvés.
Après nous avoir donné ces infos sur votre actualité, nous aimerions en revenir à vos racines musicales. Pourriez-vous nous dire brièvement comment vous êtes devenus DJs et producteurs ?
> ARNO : Tout d'abord, nous ne nous considérons pas comme des DJs. Nous faisons des DJ sets de temps en temps (depuis 2010), mais notre tâche principale c’est d'être des musiciens. Nous jouons avec des instruments sur scène et en studio. Nous composons et produisons la musique que nous aimons.
Nous avons une longue carrière derrière nous (plus de 25 ans de métier) alors je vais vous raconter notre histoire en quelques mots. Nous nous sommes rencontrés à l'école en 1984 dans un groupe (Arno à la batterie et au chant, Walter aux claviers, à la guitare et au chant). Nous avons signé notre premier contrat en 1991 avec EMI, puis nous avonsvécu notre premier succès avec le groupe de synthpop Planète Claire en 1992. Infecté par le virus techno nous avons commencé à produire de la musique électronique en 1993. Ensuite, nous avons produit le hit Eurodance "Culture Beat" en 1995. Nous avons aussi travaillé en tant que producteurs pour de nombreux artistes internationaux durant plusieurs années. Enfin, nous avons quitté cet emploi et avons fondé avec M.A.N.D.Y. et DJ T le label Get Physical. Et je suis fier de pouvoir dire : « Le reste appartient à l’histoire »...
Au début, est-ce que votre famille a compris ce que vous vouliez faire dans la vie? Et maintenant sont-ils fiers de ce que vous avez réalisé au cours de ces dernières années ?
> WALTER : Vous pouvez imaginer que ce n'était pas facile d'expliquer à nos parents ce que nous voulions faire dans la vie. Mon père est avocat et le père d'Arno était le directeur d'une grande brasserie. Nous avons eu de la chance en obtenant très jeune un contrat avec EMI en sortant toujours juste de l'école. Je me souviens que lorsque j’ai joué à mon père notre premier album (qui est un grand fan de musique classique), il a été très impressionné. Je pense qu'il est fier que nous ayons trouvé notre propre chemin et converti notre passion en un travail qui nous a permis de vivre.
De plus en plus de lecteurs nous demandent des infos sur le matos utilisé par les producteurs que nous interviewons. Quels sont les logiciel ou instruments que vous utilisez pour produire? Est-ce qu’on pourrait avoir des informations un peu techniques?
> ARNO : Il y a tellement de choses différentes que nous utilisons qu'il est impossible de les citer tous. Au fil des années, nous avons rassemblé beaucoup d'instruments, de samples, des bibliothèques sonores ou des pluggins. Voici tout de même quelques détails sur ce que nous utilisons le plus.
Le cœur de notre studio est le logiciel Logic d’Apple avec une immense bibliothèque de sample EXS et bien sûr de nombreux pluggins. Nous ne sommes pas vraiment fans des instruments avec beaucoup de possibilités, de nombreux effets et des milliers de paramètres. Nous aimons les choses simples.
La série Aturia est excellente avec le Minimoog, Jupiter 8, etc., ou encore les émulations appelées Da Hornet (que nous avons utilisé pour produire notre track "Darko "). Vous pouvez aussi entendre le Xils3 et le Synthix sur notre nouvel album. Mais ce n'est pas très important de savoir ce qu’on utilise. Il est surtout important de savoir comment vous les utilisez. Un son de clarinette peut être utilisé comme un élément de percussion à consonance bizarre ou même en tant que cymbale avec une longue réverbération ou un flanger qui peut être la base d'un bon synthé.
A Manchester par exemple, nous avons envoyé de nombreux signaux au travers d’un ampli de guitare pour pas mal d’instruments, ce qui leur donne une texture spéciale. Vous pouvez entendre ce travail par exemple sur « Love inc. ». Nous avons donné à la percussion un traitement spécial.
Je crois avoir lu quelque part que Booka Shade n'est pas votre première expérience dans le milieu musical. En effet, vous avez composé pour des groupes pop, quelques pubs et même des films... Est-ce vrai? Si oui, pourriez- vous nous en dire un peu plus sur cet aspect "inconnu" de votre travail?
> Walter: Nous avons produit beaucoup de musique pour la Télé et quelques publicités pour des marques comme Levis, BMW, Mercedes et Wella... Nous avons beaucoup appris sur les atmosphères et la façon de peindre les images avec de la musique. En même temps nous avons eu quelques succès dans le domaine de la pop music... Notre remix le plus connu est sans aucun doute la version radio de « Barbie girl » par Aqua… On ne peut s’en cacher : )
Après ce succès, nous avons été consultants en musique pour des émissions de télévision comme Popidol, Popstars, etc. mais seulement durant deux ans... En 2001, après des millions de disques vendus, nous en avons eu assez. On s’est alors concentré sur ce que nous aimions vraiment. Comme vous pouvez le voir, des millions de ventes ne suffisent pas à vous rendre heureux.
En ce qui concerne votre carrière en tant que producteurs, avez-vous un rôle prédéterminé dans la production de vos tracks? Comment composez vous ensemble? Un à la batterie et l’autre au clavier ?
> WALTER : Dans le passé, nous nous asseyions dans notre studio ensemble et nous travaillions sur la musique. Aujourd'hui, le procédé est un peu différent car nous sommes souvent en tournée et nous ne vivons plus dans la même ville.
Je commence à écrire et produire une première démo dans mon atelier que j’envoie à Arno. C’est ensuite la base de nos différentes discussions. Puis, nous nous rencontrons en studio, avec les instruments d'enregistrement, nous parlons des arrangements, des sons et de notre ressenti. Nous bossons ensemble jusqu'à ce que nous estimions que le track est terminé.
Vous avez créé avec DJ T et M.A.N.D.Y. le label Get Physical il y a quelques années. Vous venez tout juste de célébrer le 10ème anniversaire du label cette année. Si vous regardez en arrière et les années passées, comment décririez-vous l'évolution de ces publications. Quelle est votre vision de l'avenir en quelques mots ?
> ARNO : Les premières années avec Get Physical furent incroyables, sans aucune règle et avec une mentalité « nous tous contre le monde ». J'ai beaucoup appris à ce moment sur la musique électronique en général. Ce fut une période très inspirante.
Après un moment, le label est devenu l’un des plus importants dans le monde de la musique électronique. C’est là que les problèmes ont commencé... C’était une entreprise trop grande à gérer avec Walter : trop d'employés, trop de décisions à prendre, trop d’opinions divergentes. Nous avons donc quitté le label début 2010 après 8 années passionnantes. Nous sommes des amis proches surtout de M.A.N.D.Y..
Sachant que vous venez tous les deux d'Allemagne et plus spécialement de Berlin, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la scène électronique allemande, connue principalement pour ses tracks et ses clubs underground?
> Walter: Il y a beaucoup de nouveaux endroits où vous pouvez vous amuser en plus des clubs établis comme le Watergate, le Weekend ou encore le Berghain.
Il y a des endroits comme le Kingsize, le Bravo ou le Trust qui sont plus ou moins des bars avec un DJ dans un coin, mais avec une atmosphère unique et des gens fous qui dansent partout. Aujourd'hui, les vrais clubs sont toujours au top, mais les gens ont de plus en plus tendance à se rendre dans des endroits où vous pouvez dîner, boire un verre au bar puis aller un peu plus tard dans la nuit danser dans le même bâtiment. Il y a par exemple des lieux comme le Grand, le Sohohouse, le Spindler & Klatt ou encore Kater Holzig.
La principale scène électronique et les clubs les plus célèbres d'Allemagne sont à Berlin bien sûr, mais il y a d'autres villes comme Francfort avec de grands producteurs comme Butch ou encore Munich et Cologne avec les gars du label Kompakt. Vous aurez de toute façon plus de chance de rencontrer des DJs et producteurs berlinois dans un aéroport que dans un club de Berlin car nous sommes constamment en voyage ! Mais évidemment nous nous voyons de temps en temps avec nos amis comme Pan Pot, Martin Eyerer, Moderat, Chi Thanh, M.A.N.D.Y. et tous les autres...
Pourquoi pensez-vous qu’à Berlin il y ait tant de talents et une telle émulation musicale entre les différents producteurs de musique électronique ? Y a t-il une eau spéciale ?
> Bien sur que vous pouvez trouver une eau magique à Berlin si vous le souhaitez ! Mais je pense que ce n'est pas la raison pour laquelle Berlin est un lieu si propice à la création. Je pense qu’il s’agit plus d’éléments périphériques comme des loyers bas, la phase de reconstruction de Berlin avec des maisons idéales pour les fêtes illégales, une population internationale, un gouvernement libéral et une histoire citadine rock n’roll (David Bowie, U2, Dépêche Mode) . Pauvre mais sexy c’est le slogan de Berlin et c’est plutôt juste !
Un autre truc à ajouter?
> Love is life, if you miss love you miss life.
Booka Shade, avant de conclure cette interview, nous avons encore quelques questions à vous poser. Parfois, un mot suffit !
Où êtes-vous en ce moment pour répondre à notre interview?
> WALTER : A Majorque, en vacances avec ma famille avant notre tournée australienne.
Le titre que vous nous conseillez d’écouter dans votre discographie ?
> Booka Shade - Love Inc. (la version de l’album)
Un artiste avec qui vous voudriez bosser un jour?
> Arcade Fire
3 mots pour définir votre musique?
> Émotionnelle, élégante, mélodique
Un privilège auquel vous donne accès vos statu de DJs et producteurs?
> Le cœur de notre public
Un mot sur la France?
> Elégant
Quelques mots sur Actualites Electroniques, site où l'interview sera publiée ?
> WALTER : Des informations internationales sur la musique électronique en général, avec une mise en page sympa. En fait tout ce dont vous avez besoin de connaitre sur l’actualité du moment. Vraiment très sympa. Je devrais y faire attention plus souvent.
Le meilleur club allemand?
> ARNO : Le Watergate à Berlin
Votre titre préféré en ce moment?
> Arcade Fire - Reflector
Booka Shade, merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à Actualités Electroniques, en particulier pour cette interview complète et exclusive. Nous attendons avec impatience vos prochaines productions et surtout votre prochain album. A bientôt ! "
Dj Aroy
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