Le patriarcat est-il mort ?
Publié Par Reason, le 20 octobre 2013 dans Sujets de sociétéLa patriarchie, au moins ici en Occident, est morte. Que le féminisme mérite de survivre ou non, cela appartient aux féministes.
Par Cathy Young, depuis les Etats-Unis.
Un article de Reason Magazine.
Ironiquement, la tendance féministe de tirer sur le porteur de bonnes nouvelles était le sujet même de l’essai de Rosin, adapté du nouvel épilogue de la version de poche de son livre, La fin des hommes, qui, malgré son titre, concernait davantage la prédominance des femmes que le déclin des hommes. Rosin a noté avec stupéfaction que les objections à son rapport sur l’enrichissement des femmes ont été accueilli avec un soulagement palpable, non pas par de mâles phallocrates mais par les féministes (et Rosin n’est pas la seule concernée : lorqu’une étude récente a démontré que les candidats politiques féminins n’étaient pas jugés plus négativement que ceux masculins, même pas au regard de leur apparence ou vêtements, les féministes ont réagi soit par le silence soit en tirant à vue).
Alors, où est-ce ce patriarcat américain que couvre Rosin ? Certaines critiques de sa position se résument à « seules les femmes blanches aisées se portent bien » (et les hommes pauvres issus des minorités nagent vraisemblablement dans le privilège). Un gentleman opposant, confrère sur Slate.com, Matthew Yglesias, cite la dominance numérique des hommes dans les entreprises américaines, comme si Rosin n’était peut-être pas au courant de ces statistiques (un chiffre qu’il omet : les femmes contrôlent 60% de la richesse aux États-Unis). Mais surtout, les détracteurs de Rosin se concentrent sur les violences subies par les femmes aux mains des hommes et sur les préjugés culturels accablants à l’encontre de celles-ci, des pressions concernant leur apparence jusqu’au « slut-shaming » (NdT : humiliation des femmes libertines). La patriarchie, selon Caplan-Bricker, est le fait de « de vivre dans une société où à la fois les hommes et femmes réservent leurs critiques les plus dures aux seules femmes ».
Mais le font-ils ? De telles déclarations nébuleuses sont presque impossible à prouver ou à réfuter. En fait, des chercheurs comme la psychologue sociale et féministe Alice Eagly de l’université Northwestern ont constamment prouvé que les deux sexes ont tendance à considérer les femmes de façon plus positive que les hommes. Bien sûr, ce parti pris pro-femmes a son revers : la « gentillesse » perçue des femmes peut les amener à être considérées moins aptes à des postes de direction et à être pénalisées pour ne pas être « agréables ». Mais de telles généralisations grossières sur la misogynie ont peu de rapport avec la vie réelle dans la société occidentale moderne.
Les préjugés fondés sur le sexe ne sont pas à sens unique. Si les femmes sont toujours stigmatisées pour coucher à droite et à gauche, les hommes le sont davantage pour ne pas avoir assez de sexe, même par certaines féministes dont l’insulte de choix pour les hommes sexistes est de sous-entendre la privation sexuelle. Les femmes peuvent éprouver davantage de désapprobation pour déléguer la garde de leurs enfants, les hommes, pour ne pas être capable de subvenir aux besoins de leur famille. On pourrait débattre sans fin de savoir si ces normes sont enracinées dans la nature ou la culture, et de savoir si elles sont utiles ou nuisibles (ou un mélange des deux). Le fait demeure que de tels double standards ne sont pas seulement perpétués de manière similaire par les hommes et par les femmes, mais, qu’à notre époque, ils ont autant de chance d’être au moins aussi favorables aux femmes qu’aux hommes.
Il n’est vraiment pas difficile de trouver des cas dans lesquels les hommes sont jugés plus sévèrement que les femmes. En mai dernier, après la condamnation en Arizona de Jodi Arias pour leur meurtre brutal de son ex-petit-ami, les jurés ont rejeté la peine de mort par absence d’unanimité, certains voyant des circonstances atténuantes dans le supposé harcèlement verbal et mental par sa victime, malgré les preuves qu’Arias était une stalkeuse invétérée. À peu près au même moment, lorsque le romancier James Lasdun publia un livre sur son expérience cauchemardesque de cyber-harcèlement par l’une de ses anciennes étudiantes en création littéraire dont il avait rejeté les avances, une critique parue dans le New Yorker l’accusa de ne pas avoir admis son attirance pour cette femme et de lui avoir donné de faux espoirs. Inverser les sexes dans chaque cas et il y aurait des cris d’indignation contre la « condamnation de la victime » (les deux incidents sont aussi un rappel que les femmes ne sont pas les seules victimes de harcèlements et de violences de la part du sexe opposé).
En fin de compte, les exemples du patriarcat en action donnent raison à Rosin. Ils sont constitués d’enjeux complexes réduits à une guerre contre les femmes (comme les limitations proposées à l’avortement, qui reçoivent plus de soutien par les femmes que par les hommes dans certain cas) ; à des exagérations extravagantes (les femmes ne peuvent pas marcher dans la rue sans être sifflées ou pelotées) : à de propos absurdes, culturellement marginaux (des groupes catholiques ultraconservateurs déconseillant les études supérieures pour les femmes) : ou à des doléances si insignifiantes qu’il est difficile de dire si elles sont satiriques ou sérieuses. Une liste des « 39 choses qui nous manqueront à propos du patriarcat, qui est mort » publiée sur le site web du New York magazine incluait « les vibromasseurs en forme de cupcake », les queues aux toilettes publiques, et les hommes monopolisant l’espace dans les transports publics. Et de nombreux auteurs ont mentionné « Titstare » (NdT : littéralement « fixer du regard des nichons »), un incident à la fois insignifiant et révélant une forte désapprobation sociétale d’un sexisme même léger.
« Titstare », si vous étiez assez chanceux pour éviter le brouhaha, était une présentation sous forme de plaisanterie de deux fondus d’informatique australiens au « Hackathon » du journal en ligne TechCrunch au début du mois : il s’agit d’une application pour smartphone destinés aux hommes pour partager des photos d’eux-mêmes lorgnant sur des poitrines féminines. Bien que la présentation de soixante secondes ne comprenait rien de plus explicite que deux photos de décolletés, c’était certainement une mauvaise blague, probablement aux dépens des hommes au regard lubrique (la présentation figurait un dessin humoristique représentant un homme recevant un punch par une femme). Mais aucun des commentateurs qui ont cité cette farce juvénile comme preuve de la misogynie rampante n’ont jugé bon de reconnaître les promptes excuses de la part des deux participants — l’un d’entre eux étant une femme, ainsi que deux des cinq juges présidant au Hackathon — ni la promesse de pré-sélectionner avec plus d’attention les propositions aux prochaines conférences. Si cela se retrouve sur une liste des infractions patriarcales, on peut commencer à se demander si le féminisme a encore de vraies batailles à mener.
Ce qui n’est, en fait, pas le propos de Rosin. Lorsque nous lui avons parlé quelques heures après la publication de son article, elle a insisté sur l’existence de problèmes qui subsistent, mais que l’attention apportée au « patriarcat » en tant qu’« ennemi que l’on peut abattre » est une diversion contre-productive des problèmes réels. Au premier rang de ceux-ci, le casse-tête que constitue l’équilibre entre famille et travail. Prenez par exemple la progression des femmes dans l’industrie de pointe : malgré les lamentations à propos de Titstare comme symptôme du sexisme empêchant la progression des femmes, les preuves suggèrent qu’il ne s’agit pas du principal obstacle. Dans une étude, les femmes ayant des diplômes supérieurs en sciences, technologies et ingénierie étaient 25% moins susceptibles que les hommes d’exercer dans leur domaine de compétence si elles étaient mariées et élevaient des enfants, tandis qu’il n’y avait aucune disparité entre les sexes pour les personnes célibataires et sans enfant.
Certaines différences entre les sexes dans les rôles familiaux et professionnels pourront toujours persister, mais nous devrions certainement continuer à travailler vers plus de flexibilité, de liberté, et de choix pour tout le monde. Rosin estime que ces objectifs doivent être redéfinis en problèmes de prise en charge de la dépendance pour les deux sexes plutôt qu’être considérés comme des « questions féminines », et elle est ici sur la bonne voie, même si les solutions qui ont ses faveurs sont probablement davantage dépendantes du gouvernement que ne le seraient les miennes.
Plus largement, je suis convaincue que si le féminisme doit avoir un avenir positif, il doit se réinventer comme un mouvement prônant l’égalité des deux sexes et contre tous les sexismes. Se concentrer uniquement sur le désavantage des femmes était parfaitement compréhensible quand, quels que soient les avantages paternalistes dont les femmes auraient pu bénéficier et quels que soient les fardeaux dont les hommes auraient eu à subir, les femmes étaient celles qui ne jouissaient pas des droits fondamentaux de citoyens adultes. Mais aujourd’hui, il n’y a simplement aucune justification morale ou rationnelle pour tout féministe honnête à ignorer (par exemple) le traitement plus clément des délinquantes dans le système judiciaire ou les biais anti-pères dans les tribunaux familiaux. Le concept de féminisme comme mouvement de d’égalité des sexes se dirige de plus en plus vers un conflit avec le féminisme en tant que mouvement défendant les femmes.
Sous sa forme actuelle, comme un culte laïc qui devrait lui-même se nommer Sœurs des Complaintes Perpétuelles, le féminisme est bien plus un élément du problème qu’un élément de la solution. Il s’accroche aux torts faits aux femmes et transforme le droit des femmes en privilèges narcissiques. Il est bien trop facilement enclin à dénigrer les hommes tout en peignant les femmes, de manière insultante, comme impuissantes, et en minimisant leur capacité à être cruelles (l’idée que la violence et la domination n’existeraient pas sans le patriarcat est non seulement naïvement utopique mais totalement sexiste). Il est aussi profondément hors sujet pour la plupart des femmes, dont seules 5% se considèrent comme « fortement féministes » même si 82% croient en l’égalité sociale, politique et économique des hommes et des femmes.
Bien sûr le patriarcat, au moins ici en Occident, est mort. Que le féminisme mérite de survivre ou non, cela appartient aux féministes.
Article original Is the patriarchy dead? par Cathy Young publié le 29 septembre 2013 dans le magazine Reason. Une première version de cet article a été publié sur le site RealClearPolitics.
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