Il faut l’admettre, qu’on soit amateur ou non de leur musique, le collectif Odd Future regorge de multiples talents. En tête Tyler The Creator, véritable étendard de la marque au donut, nous a déjà montré de quel bois il se chauffait avec Yonkers ou Wolf. Franck Ocean, redonna ses lettres de noblesses au r’n'b. Quand au discret Hodgy Beat, il continue sous le chaponnage de ses camarades son petit bonhomme de chemin sous MellowHype ou en projet solo. La liste est longue et s’étend également à d’autres artistes tels que Earl Sweatshirt, Domo Genesis, Mike G, ou encore Syd Tha Kid (futur The Internet).
Aujourd’hui on s’attaque à l’élément le plus attendu de ce crew, le dénommé Earl Sweatshirt. Mis à part une mixtape sobrement baptisé Earl, des featurings sur « Super Rich Kids » paru dans l’album Channel Orange de Frank Ocean où encore sur Duality de Captain Murphy dans le morceau « Between Friends » et quelques passages remarqués sur les mixtapes du collectif… rien d’autres n’était alors à se mettre sous la dent. Puis est arrivé Doris répondant (enfin) à nos attentes.
Doris : un récit autobiographique ?
Précisons le dès le départ, Doris n’est pas un album pour la fête. L’ensemble des titres s’insère dans cette ambiance noire, gluante où le frisson n’est jamais loin. Un album qui rappel grandement MF Doom et RZA notamment dans la façon dont Earl découpe son phrasé à la limite même du parlé, avec par exemple »Molasses »
Chaque titre se veut la description d’une des nombreuses histoires qui ont eu lieu dans la vie d’Earl, ses peines, ses pensées aussi bien que ses envies. « Burgundy » est par exemple le récit personnel de son propre esprit, pour se réconcilier avec celui qu’il est devenu depuis son retour à Los Angeles (Earl fut envoyé à la Coral Reef Academy, pensionnat situé au Samoa). Il fait également allusion sur ce même morceau à l’état de santé de sa grand-mère.
Sur « Sunday » il est un amoureux distant, le titre « Hives » capture sous son nouveau regard les réalités inquiétantes de Los Angeles. « Chum » demeure le titre phare de l’album et s’ouvre sur les batailles de sa vie, notamment l’absence de son père le poète Keorapets Kgositsile et la manière de se construire en tant qu’adulte sans l’aide d’un modèle paternel :
It’s probably been twelve years since my father left, left me fatherless,
And I just used to say I hate him in dishonest jest,
When honestly I miss this nigga like when I was six”.
À la première écoute, on se retrouve assez déstabilisé entre le sentiment d’avoir pris une gifle mais d’être aussi emprisonné d’une certaine déprime, noirceur de la vie difficile à comprendre. Pour autant, se sentiment s’efface entre chaque nouvelles écoutes et on plonge petit à petit dans ce monde si particulier qu’a eu Earl Sweatshirt. Un pacte s’établit entre Earl et nous mêmes, Doris devenant alors un album prenant aux tripes.
L’album se caractérise également par une approche très minimaliste dans sa construction. Doris n’est pas un lieu d’excès, ni d’expérimentation mais de confirmation. On reste sur des beats simple mais toujours entraînants à l’oreille.
L’ombre OF n’est jamais bien loin.
La quantité de featurings fait office du plus bel effet et amène de bonnes surprises, à l’instar d’un Frank Ocean qui rappelle à tout le monde ses talents de rappeur en glissant un petit pic là où il faut au chanteur Chris Brown sur le morceau « Sunday ».
Mais ces nombreux featurings viennent également nous rappeler les faiblesses d’Earl… Car si on s’accorde à dire qu’Earl est un génie, possédant un style nonchalant inimitable, il n’est pas encore un songwriter abouti à l’instar d’un Eminem par exemple. En effet les sons demeurent très courts, c’est en cela qu’Earl n’est pas encore un »bon » compositeur, le genre à pouvoir allonger ses idées en des chansons entièrement conçues.
D’autres part, hormis deux featurings « extérieurs » (RZA et Mac Miller), le reste des invités viennent du collectif Odd Future (celui-ci ne demeure jamais bien loin comme nous laisse entendre Tyler sur « Whoa » : It’s the G-O-L-F-dub-A-N-G ). Dommage, tant on aurait voulu voir Earl voler de ses propres ailes.
Le résultat final de Doris se veut bon, bien construit et confirme tout le talent d’Earl Sweatshirt. Avec ce premier album Earl s’érige en digne héritier de la dynastie Odd Future, qui régnera encore longtemps.