Périple (2)
Les coulemelles poussent en abondance dans les prés et en lisière des bois. J’aperçois les premières, dans un champ après être passé près de la maison où, depuis quinze ans au moins, le pèlerin distrait, qui n’a pas pensé à se munir d’un bâton, pourra réparer son oubli. Après quoi , si il le souhaite, il se désaltérera au point d'eau potable, disponible à vingt mètres de là.
Entre Saugues et La Clauze où je vais faire étape, je croise une habitante du lieu . Elle revient de sa cueillette avec un panier plein de ces champignons. Je salue poliment et lâche un « Belle récolte ! » sur lequel elle embraye sans se faire prier. Bientôt je sais que cette année, les girolles étaient plutôt rares, mais que, Dieu merci, il y a eu de belles poussées de cèpes. A présent c’est les coulemelles et les champignons des prés « Mais moi, dit-elle, j’aime mieux les champignons des bois ! » Et comme je lui demande comment elle les cuisine (il ne faut pas perdre une occasion de s’instruire) « J’les mets à l’eau bouillante deux trois minutes ! Comme ça je suis sûre de pas m’empoisonner ! » Je m’abstiens de tout commentaire. Il serait inutile. L’âge, très canonique, de mon interlocutrice prouve à l’évidence qu’elle n’a jamais expérimenté sa méthode avec des amanites phalloïdes ou des cortinaires de montagnes et qu’elle n’a pas l’intention de le faire.
Lundi 23 septembre 2013 De La Clauze à Saint Alban sur Limagnole
Une fois passés le col de l’Hospitalet, la borne 0 entre Lozère et Haute Loire, la fontaine Saint Roch et les bois des Faux et de la Bessière, le chemin arrive au hameau du Rouget d’où il descend vers Saint Alban sur Limagnole. On entre dans la petite ville en longeant les bâtiments de l’hôpital psychiatrique départemental actuellement en travaux. Eluard s’est caché ici pendant la dernière guerre. Il y a une quinzaine d’années, on pouvait lire sur un mur quelques vers de lui. Ceux-ci, par exemple
« Rose mettra son bonnet rouge
Blanche perdra son bonnet noir… »
Il n’est pas sûr que la citation soit exacte, mais tant pis. Telle qu’elle est, elle me plait. De toute façon vérifier est impossible, aujourd’hui les murs sont vierges de toute poésie.
Je m’assois à la terrasse du Bar-Restaurant-Hôtel du Centre. Pendant que je sirote mon panaché, le couple assis à la table voisine poursuit une discussion surréaliste. Aucun doute, ce sont deux pensionnaires de Beausoleil (il paraît que c’est le nom de l’hôpital). La jeune femme est immensément triste. Elle m’interpelle. Je réponds et nous échangeons quelques phrases, moi avec cette mauvaise conscience un peu ironique de l’homme libre face au prisonnier, fut-il en permission.
Le lendemain matin, avant de quitter la ville, je suis entré dans la petite église. Face à l’autel, dans l’obscurité un homme chantait à capella le psaume quatre vingt dix: «
Apprends nous Seigneur le chiffre de nos jours…
J’écoutais en silence. Quand il se tut, je me mis en route.
CHAMBOLLE