18/10/2013
Ce soir, de Chaource, Vézelay est en point de mire, là bas, à moins de cent kilomètres. La première partie de mon pèlerinage approche de sa fin. J’ai acheté un guide pour m’aiguiller de Namur à Vézelay. Le guide parle de 684 kilomètres en suivant le GR 654. Je n’ai pas, ou très peu, suivi ce guide. Je me suis fait mon propre itinéraire. Là encore, je n’ai pas pu me passer de la sécurité qu’offre la présence d’un guide dans une poche. Après un mois sur les routes, je sais que la distance Vézelay/St Jacques, elle, se fera sans guide. Sur le chemin officiel dit, de Vézelay, les informations, je les trouverais dans les auberges pour pèlerins ou dans les offices de tourisme. Sur le camino del norte, en Espagne, c’est là que mon frère et moi, trouvions les meilleures informations. Combien de fois avons nous comparé nos guides, avec les autres pèlerins, pour constater, dans un rire bien jaune, que les distances variaient en fonction de la maison d’édition.
La distance parcourue chaque jour, le niveau de difficulté, le dénivelé ou les sites à visiter ne sont pas mes priorités pour ce voyage. Je ne suis ni sportif ni touriste. Je suis pèlerin. Ce qui compte pour moi, c’est marcher un jour pour marcher le lendemain comme j’ai marché la vieille. L’objectif est d’aller à Saint Jacques de Compostelle à pied, en ouvrant cœur et esprit à ce et à ceux qui m’entourent. Je souhaite me mettre en difficulté en sortant de mon confort car j’ai découvert que c’est un moyen très efficace de développer les valeurs de contentement, d’acceptation et d’abnégation qui sont, avec d’autres valeurs, comme la persévérance, l’optimisme et la générosité, de très performants outils pour construire et façonner son bonheur.
Aujourd’hui, le vent est soutenu et constant. Sur les grandes lignes droites séparant Bar sur Seine de Chaource, par les départementales, il n’a de cesse de se frotter à moi et prends, semble-t-il, un drôle de plaisir à me ralentir en s’accrochant à tout ce que je lui offre. Il est par moment si fort que je n’entends plus l’émission de France Inter qui résonne dans mes écouteurs. A force de souffler, les yeux plissés pour que les larmes de vent ne soient pas aussi aveuglantes qu’elles sont salées, des crampes me saisissent les joues, les gouttes qui pendent à mon nez se détachent sans même que je n’ai besoin de ma manche pour les chasser. Un mal de tête, de ceux qui saisissent les citadins quand ils restent trop longtemps sur une plage peignée par les vents marins, s’installe sournoisement, insidieusement et sûrement, entre mes deux tempes. Évidement, le pèlerin doit affronter les éléments, en ceci est son combat. Pour l’instant, j’ai réussi à passer entre les gouttes et à trouver des toits quand la pluie prenait le contrôle. Le froid est présent mais pas mordant. J’en arrive même à suer à grosses gouttes après la première heure de marche. L’humidité est pourtant bien là. C’est le matin, surtout, que j’ai affaire à elle. Entre la chaleur de mon corps endormi et la fraîcheur de l’atmosphère enveloppant ma tente, la condensation s’installe et détrempe l’intérieur de la tente. Depuis plusieurs jours, le soleil se cache et la tente, ne pouvant vraiment sécher, montre ses premiers points de moisissure. Charmant.
Les cadavres jonchent le sol d’octobre. C’est un un carnage. Le sol est ce que le marcheur ne peut éviter de scruter. Dans mes pensés, mon regard, entre deux coups d’œil au loin, reste concentré sur une zone allant de un à cinq mètres au devant de moi. Au bout de quatre cadavres de grenouille, ma curiosité est piquée. Je place ma concentration sur les autres tâches plus ou moins sanguinolentes qui marquent le passage d’un cruel petit chaperon rouge qui, au lieu de cailloux, aurait semé de petits animaux qui une fois passés sous les roues de nos carrosses, font d’excellent panneau de signalisation. Un holocauste. Je ne sais exactement combien d’autres tâches de grenouilles, de salamandres, de vers de terre, de hérissons, de lapins, de mulots et même d’un hiboux, j’ai pu décompter sur cette route qui traverse une forêt. Il y en a beaucoup des routes et des forêts, en France. Ça doit chiffrer au total.
Mais un beau moment est venu compenser et relever la moyenne. A deux pas de moi, une biche s’enfuit. Elle est si près que nos regards se croisent. Elle est effrayée, moi pas. Elle est toute légère, moi pas. Elle est toute jeune, moi plus. Je suis heureux de me dire que je lui est peut être sauvé la vie. Une biche n’a rien à faire près de cette funeste route.
Il y a tant d’autres choses sur le bord de la route. Des centaines de canettes de bière, de soda et pas moins de bouteilles d’eau en plastique. Des milliers de paquets de cigarette. Des vêtements, beaucoup. La palme revient aux gants de manutention. J’en ai vu plein. Quoi d’autre, une écharpe, des couvertures, des tee shirt, un bob, des chaussures solitaires, un chouette pull que j’ai récupéré mais que j’ai oublié dans le lavoir où j’ai dormi le soir même. Je l’avais accroché à une porte pour qu’il sèche. Il doit être sec. Et puis, plus surprenant, j’ai vu trois petites culottes…
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