Voici la tribune rédigée avec Jean-Louis Bianco et publiée sur Le Huffington Post :
« Affaire Baby-Loup, ce que l’observatoire de la laïcité a dit »
Mardi 15 octobre, l’Observatoire de la laïcité a adopté deux avis, assez largement commentés depuis. En voici une explication succincte.
Le premier avis est un « rappel à la loi » qui explique de façon très claire ce que la laïcité permet mais aussi ce qu’elle interdit. Si la laïcité garantit à chacun la liberté d’exprimer publiquement ses convictions, quelles qu’elles soient, elle pose des limites relevant de l’ordre public et de la liberté d’autrui. De même, elle suppose l’impartialité de l’État et des services publics –donc leur stricte neutralité– vis-à-vis de tous les citoyens.
Le second avis répond à une demande du Président de la République suite à l’affaire dite « Baby-Loup ». Le 8 avril dernier, le chef de l’Etat a en effet demandé à l’Observatoire d’émettre des propositions sur « la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants ».
Après avoir rappelé les faits de l’affaire Baby-Loup et le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 mars dernier, nous avons examiné les différentes options, législatives ou non, qui permettraient d’éviter toute nouvelle affaire de ce type.
Tout d’abord, les auditions de l’Observatoire nous ont montré une situation de terrain et un déroulement de l’affaire assez éloignés de ce qu’en ont pu dire certains médias. L’histoire de cette crèche est profondément liée à celle du quartier (et à ses habitants) dans lequel elle a été créée et dont elle est l’émanation. Le litige qui est à l’origine de l’ensemble de l’affaire était-il réellement aussi emblématique qu’on l’a dit? Aurait-il pu être réglé plus simplement? Qu’a réellement dit la Cour de cassation?
La salariée licenciée, ancienne directrice-adjointe (qui portait un voile par intermittence), ne souhaitait pas reprendre son activité après ses deux congés maternité et avait demandé une rupture conventionnelle, refusée par la crèche. Revenue avec un voile, elle a été immédiatement licenciée en raison du non-respect d’un règlement intérieur imposant pour tous les postes de la crèche, à l’intérieur comme à l’extérieur, une stricte neutralité. C’est cette disposition qui a été jugée par la Cour de cassation comme constituant une interdiction trop « générale » dans une entreprise privée. La Cour a en revanche rappelé que des restrictions plus précises, conformes au code du travail, étaient possibles. La crèche « Baby-Loup » n’est pas un service public mais une entreprise privée qui, en plus de certaines subventions de fondations privées (à hauteur de 20%), reçoit d’importantes subventions (à hauteur de 80%) de différentes administrations (de l’Union européenne à la commune), mais sans contrôle public.
Qu’a dit l’observatoire de la laïcité?
D’une part, qu’à l’inverse d’une croyance très française, la loi (dont l’écriture serait ici particulièrement délicate et pourrait, par ailleurs, être contraire à certains droits fondamentaux et donc être censurée par le Conseil constitutionnel ou condamnée par la CEDH) n’est pas forcément la solution à tout.
D’autre part, que bien que méconnues, des règles existent déjà pour restreindre dans le secteur privé, quand cela est justifié, l’expression religieuse (y compris vestimentaire).
Ainsi, concernant la crèche Baby-Loup, nous rappelons, comme l’inspection générale du travail lui avait suggéré (ce que refuse la crèche « en raison de la procédure en cours »), qu’une précision de son règlement intérieur lui permettrait de poser de telles restrictions, y compris concernant le port d’un voile.
Une autre solution serait de contracter une délégation de service public (DSP) qui lui assurerait une neutralité religieuse totale dès lors que la crèche accepterait un contrôle étroit de l’administration.
En plus de développer les DSP, l’Observatoire propose donc au Gouvernement, d’une part d’édicter une circulaire interministérielle et de labelliser des guides pratiques afin de mieux gérer le fait religieux dans les crèches et les entreprises en général ; d’autre part de proposer la diffusion de « chartes de la laïcité » dans les différentes administrations, à l’image de ce qui a été fait avec la « charte de la laïcité à l’école ».
Et dans le cas où, à l’avenir, les pouvoirs publics souhaiteraient néanmoins légiférer, l’Observatoire de la laïcité recommande d’éviter toute « loi d’émotion » et rappelle que l’option législative supposerait, au préalable, une concertation entre groupes politiques parlementaires afin de permettre un débat serein évitant toute instrumentalisation partisane.
Jean-Louis Bianco, Président de l’Observatoire de la laïcité
Nicolas Cadène, Rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité
Vous pouvez retrouver l’avis complet en cliquant ici.