Magazine Théâtre & opéra

Toulouse, Manon et Natalie Dessay

Publié le 18 octobre 2013 par Rolandbosquet

toulouse

   Toulouse. Dimanche 13 octobre. 14 heures. Un soleil trop timide tente de réchauffer la place du Capitole. Une petite foule se presse devant la porte de l’opéra. Certains ont déjà réservé leur fauteuil. D’autres, comme moi, espèrent qu’un strapontin se libèrera. À l’affiche, le Manon de Jules Massenet. Après le Covent Garden de Londres, la Scala de Milan et le Metropolitan Opera de New York, il arrive enfin à Toulouse. Laurent Pelly en assure bien entendu la mise en scène. L’orchestre est dirigé par l’espagnol Jesùs López Cobos. Charles Castronovo est le chevalier des Grieux. Mais c’est surtout Natalie Dessay dans le rôle de Manon Lescaut, la femme perdue imaginée par l’abbé Prévost, que chacun vient écouter. Ce serait sa dernière prestation lyrique ! On reconnaît quelques noms dont la notoriété encore trop discrète ou trop éloignée oblige à patienter avec la piétaille. Mais de temps à autre, un mouvement attire l’attention. Les conversations s’arrêtent. Les têtes se relèvent. C’est untel ou unetelle. Ils se glissent, protégés par leur petite cour, par l’entrée des artistes et disparaissent aussitôt, happés par quelque main attentive. C’est Roberto ! Mais non, il est fâché avec Nathalie ! Oui mais il sort un disque avec Deutsch Gramophon ! De toute façon, Roberto Alagna est fâché avec tout le monde. Ou alors c’est Laurent Naouri, Marc Minkowski ou Michel Legrand, reconnaissable à sa crinière blanche! Les noms circulent. Ils brillent au firmament de la renommée et émerveillent le parterre qui piétine.  Chacun en profite d’ailleurs pour partager ses expériences avec l’entourage. On se souvient l’avoir entendue au Châtelet dans Hamlet  en 2003. Vous vous trompez ! C’était en 2001. En 2003, elle a été obligée de laisser sa place à Mireille Delunsch ! Vous l’auriez vue dans les Contes d’Hoffmann de Carsen ! C’était n’importe quoi ! J’ai adoooré sa Reine de la nuit à Vienne. Elle était… ! Je l’ai vue sur écran dans Lucia di Lammermoor en direct du Metropolitan Opéra. Mais ce n’est pas pareil que dans la salle elle-même. Le son n’est pas le même bien sûr. C’est mieux que rien ! Ce sera rien pour beaucoup d’entre nous aujourd’hui. Les portes viennent de s’entrebâiller avec prudence. Une tête anonyme s’incline, observe l’assistance avec componction et se dérobe. La petite foule se resserre. Il ne faut pas perdre sa place. Laissez-vous distraire et vous voilà bousculé, piétiné. Écarté. Le monde des amateurs d’opéra est impitoyable. Mais on ouvre les deux battants. Un personnage à la mine officielle sort de l’ombre. Il semble s’apprêter à prononcer quelque discours définitif. Non. On l’appelle à l’intérieur. Deux jeunes femmes tout de noir vêtues le remplacent. Les premiers billets se précipitent. Deux clans se forment. Devant, celles et ceux qui disposent du précieux viatique. Derrière, les autres. 14heures et trente minutes. Un nuage joufflu comme un angelot saint-sulpicien plonge la ville dans l’ombre. Les portes se referment sur la déception des vaincus. Une représentation est encore prévue mardi prochain mais des places seront-elles disponibles ? Celles et ceux qui s’en retournent en traînant les pieds espèrent secrètement qu’une brutale et soudaine épidémie de grippe s’abattra sur les possesseurs des billets déjà réservés, les empêchant ainsi de s’en prévaloir. En réalité, nul ne se fait vraiment d’illusions. La maladie frappe rarement au bon endroit au bon moment ! Et c’est ainsi que le monde poursuivra sa course clopin-clopant. Indifférent aux drames qui se déroulent en son sein. Comme d’habitude !

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