La vie d’Adèle mérite-t-il vraiment sa Palme d’Or ?

Écrit et réalisé par Abdellatif Kechiche
Avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Salim Kechiouche, Mona Walravens, …
2h59

Résumé

À 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve…

Avis

C’est la question qui, depuis quelques mois, brûle les lèvres de toute personne un tant soit peu intéressée par le 7^ème art : mais que vaut vraiment La vie d’Adèle ?
Il faut dire que depuis la récompense suprême cannoise, on nous rabat bien les oreilles avec ce film, tant pour ses qualités cinématographiques (le mot « chef d’œuvre » était dans toutes les bouches), que pour des éléments externes (les critiques de Léa Seydoux et les plaintes des techniciens du film, notamment).
Mais désormais, l’heure n’est plus aux suppositions, aux ragots et autres commentaires non fondés : La vie d’Adèle vient de sortir en salle, et nous avons enfin notre mot à dire !

Tout d’abord, précisons dès le départ que La vie d’Adèle se situe dans la continuité des précédentes œuvres de Kechiche : même atmosphère naturaliste, même caméra virevoltante,  fort attrait pour la jeunesse avec ses hauts et ses bas, …
Kechiche ne crée donc pas une œuvre novatrice, mais continue simplement son travail, ses recherches, d’une manière plus ample, plus vaste.
Tout l’intérêt de La vie d’Adèle réside d’ailleurs dans cette durée (dont on a appris récemment qu’elle était en fait la version courte !), mais c’est également là que se trouve son point faible.
Kechiche a en effet des ambitions démesurées. Le titre de son film en fait d’ailleurs état : il veut filmer la vie, la vie d’une femme, d’une jeune femme. Et au-delà de la vie, filmer l’amour, le grand, l’immense ; celui qui fait chavirer les êtres, et pleurer les cœurs.
Pour ce faire, et décrire le processus de la relation amoureuse au grand complet, il est obligé d’étendre son film, de prendre son temps, de passer par tout un tas de petites choses, futiles en soi, mais qui prennent finalement tout leur sens dans la globalité du film.

Le problème se trouve finalement là : même si on est conscient, une fois le film terminé et assimilé, que Kechiche devait filmer tout ça, qu’il devait tout nous montrer, sur le coup, affalé dans notre fauteuil qui nous fait mal aux fesses (aparté personnelle), on est parfois un peu ennuyé par ces scènes qui n’en finissent jamais et certaines autres qui n’auraient peut-être jamais du commencer.
Mais comment critiquer plus cette œuvre démesurée qui, malgré ses flagrantes ressemblances avec les précédentes œuvres du réalisateur, s’avère finalement unique en son genre.
De manière assez ironique, La vie d’Adèle se présente finalement comme la caricature du film français et comme son contraire. Uniquement captivé par ses personnages, peu intéressé par la narration et finalement un peu attentiste, le film pourrait en effet être vu comme le parfait cliché du film d’auteur français vaniteux.
Cependant c’est bel et bien l’inverse qui nous est présenté la toile, le film s’avérant finalement être une œuvre d’une audace folle qui n’a peur ni de sa longueur démesurée, ni d’ennuyer son public, et encore moins de montrer les corps et le sexe (peu nous importe en fin de compte que ces scènes de sexe entre femme soient réalistes ou pas : le cinéma doit magnifier les choses, et il le fait ici à merveille).

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Certains s’étonnent que le film soit uniquement interdit aux moins de 12 ans en France alors qu’il contient moult scènes de nudité, et de surcroît d’une crudité assez peu commune.
Et c’est justement ici que Kechiche frappe fort avec une œuvre dont la seule comparaison pourrait être L’empire des sens, de Nagisa Oshima (l’aspect autodestructeur en moins).
Malgré un pénis en érection, des scènes de cunnilingus en gros plan et des cris de jouissance à tire-larigot, La vie d’Adèle est loin d’être un film vulgaire ou film pornographique. Très loin même.
Tout comme chez Oshima, le sexe n’est ici qu’un élément, qu’une partie du cycle amoureux que tente de nous décrire Kechiche (bien qu’il s’agisse tout de même d’un élément capital et inhérent à celui-ci). Il est cru, mais jamais vulgaire. Osé, mais jamais obscène. Et son omniprésence n’a finalement d’égal que son intensité.
Bien sûr, il est compréhensible que cela puisse choquer, et ce même au-delà du fait qu’il s’agisse de deux femmes faisant l’amour (take that Christine Boutin). Mais comment montrer l’amour, si l’on ne montre pas le sexe ? Les deux sont indissociables quoi qu’on en dise. Et Kechiche utilise très bien le second pour servir le premier, et vice-versa. Il le fait d’ailleurs de manière très didactique, s’attardant bien plus sur le désir, la passion, que sur l’acte en soi, à l’opposé total du porno de bas étages.

Mais c’est faire preuve d’une grande stupidité que de réduire le film à ces seules scènes de sexe, aussi intenses te perturbantes soient-elles. La vie d’Adèle, une nouvelle fois à l’instar de L’empire de sens, est un film sur l’amour. Un grand film sur l’amour même. Et y voir autre chose équivaudrait à faire du bruit pour rien.
Kechiche est un de ceux qui a su le mieux capter l’essence même de la condition amoureuse. Et il use à merveille de ce talent pour le faire transparaître sur la jeune (et très talentueuse) Adèle Exarchopoulos. Toute personne étant un jour tombé amoureux se reconnaîtra forcément un peu dans son personnage, tant celui-ci s’avère complétude extraordinaire.

Finalement, La vie d’Adèle n’est peut-être pas le GRAND film qu’on attendait. Il est un peu trop long, parfois un peu obscur, parfois trop cliché. Mais, au fond, si on y réfléchit bien, cela n’est pas vraiment de sa faute : c’est la vie qui veut ça. C’est la vie qui est ainsi, pleine de longueur, d’imperfections et de clichés en tous genres.
Kechiche voulait filmer la vie ; il a réussit son pari, et mérite amplement sa Palme, ne serait-ce que pour récompenser son courage pour faire un tel film en 2013 !