La revue de Belles-lettres, en son numéro 2013, I, publie un
important dossier consacré à Henri Thomas. Avec notamment au sommaire de cette
revue qui, depuis quelques numéros, retrouve toute sa vitalité et son
importance après une phase un peu en retrait, Pirotte, Roudaut, Gide, Perec,
Ortlieb, Pouchkine, Essenine, Hölderlin, Shakespeare, Jaccottet et d’autres
encore.
Le seau à charbon
C’est juillet, l’interne
repart en vacances,
ongle noir, œil terne
et malodorance.
Lecture la nuit,
paresse le jour,
l’ami poursuivi
vers le fond des cours
quand novembre noir
étend les soirées
voilà son espoir
vive la rentrée !
Qu’ils sont bleus, les bois
au loin ! Les maisons,
les gares, les ponts,
c’est bête – pourquoi ?
Le cœur singulier, les nerfs
qui s’accrochent n’importe où,
la parole aux bijoux clairs
qui ne valent pas deux sous.
L’horizon des jours vécus
où grandit l’obscurité
- bien souvent je t’ai perdu
fil ténu de la santé.
fêlure à travers ma vie,
fêlure d’un vieux désir,
bien souvent je t’ai sentie,
cheminant vers l’avenir –
Quelquefois, ô rarement !
la musique emporte tout :
cherchez-moi, je suis absent,
bon vivant et bon époux.
Henri Thomas, Poèmes, Revue de
Belles-Lettres, 2013, I, pp. 24 et 28
« Toute grande œuvre s’arrache d’abord
à l’intime »
Le « livre de bord », celui des Cook, des
Bougainville, des forbans séminaristes, que les communications par satellites ont rendu superflu (on le rédigeait dans la « chambre de veille »,
sous la grosse lampe-tempête), est bien antérieur à l’apparition du « journal
intime », et ce n’est sûrement pas le capitaine Nemo, dans l’intimité du Nautilus, qui a réuni ces deux termes. Le livre de mon bord de Reverdy, qui n’est
pas un journal intime, atteste cependant la permanence d’une sorte de rêve, d’un
prototype : la vie humaine comme navigation spirituelle avec naufrages,
sauvetages, enchantements, disparition finale, infernale ou paradisiaque.
On n’a pas assez remarqué, peut-être (je ne lis pas tout !),
que le passage du livre de bord, portant latitude et longitude, au journal
intime s’est opéré dans les années mêmes où la grande presse prenait son essor
et déjà sa puissance (Le Globe, Les Débats, etc.). L’individu, mettons
Aloysius Bertrand, Pétrus Borel, Nerval même (mais non Baudelaire, qui a vu
avec horreur et fascination surgir le feuilleton, l’empire critique au
rez-de-chaussée et, par ailleurs, la photographie – essentiellement obscène, dit-il, malgré ses portraits chefs-d’oeuvre
aux très longs temps de pose), se trouvait rejeté sur lui-même, contraint à l’esprit
souterrain.
[...]
Henri Thomas, Revue de Belles-Lettres, 2013, I, p. 113
sommaire
complet du numéro
Bio-bibliographie d'Henri Thomas, extraits 1, extrait 2, note sur la poésie