Une farce de Ray Galton et John AntrobusAdaptée par Dominique Deschamps et Gérard PinterMise en scène par Arthur Jugnot et David RousselDécors de Sarah BazenneryeLumières de Philippe MathieuCostumes de Cécile MagnanMusique de Romain TrouilletAvec Erwan Creignou (Oliver Blatt), Karine Dubernet (Docteur Goebbels), Jean Franco (Denis Blair), Marie-Hélène Lentini (Queenie Loverett), Yannick Mazzilli (Terry Bush), Ariane Mourier (Doris), Gilles Vajou (Le Pasteur)
L’histoire : Quand votre femme vous quitte et que vous découvrez qu’elle a aussi largué tous ses amants… qu’elle ne vous a laissé que votre dîner dans le micro-ondes et dans le congélateur que des choses qui vous désignent comme un dangereux serial-killer, vous commencez à vous poser des questions et à vous dire qu’il faut absolument réagir. Donc, avec l’aide de votre meilleur ami qui, Dieu merci, travaille dans la police, du pasteur de votre paroisse, d’un éleveur d’autruches débutant et la complicité involontaire de votre belle-mère, charcutière émérite, vous allez faire « des pieds et des mains » pour vous innocenter, quitte à fomenter un complot qui risque de changer le régime alimentaire de la monarchie britannique et de faire vaciller sur ses bases la trône de sa malheureuse souveraine…
Mon avis : Canapé et fauteuil Chesterfield, papier peint beige hideux, le décor est typiquement british. Ce qui est tout à fait idoine puisque la pièce elle aussi l’est : complètement british. On ne nous prend pas en traître puisque, sur l’affiche, c’est le mot « farce » qui est imprimé. Et cette annonce n’est vraiment pas mensongère car il faut apprécier le total non-sens pour goûter tout le suc de cette pièce. En plus, la présence de Gérard Pinter comme adaptateur nous livre aussi quelques indications quant à son univers. J’avais été emballé par ses créations comme Un putain de conte de fée et On tire bien sur les lapins, des comédies délirantes et loufoques au rythme effréné. Je savais donc à peu près à quoi m’attendre.
Le titre de la « farce », Des pieds et des mains propose finalement un double niveau de lecture. Elle n’induit pas seulement que le héros de l’histoire, Denis Blair, va devoir faire « des pieds et des mains » pour se sortir de l’imbroglio dans lequel il se trouve. Mais je laisse planer le mystère quant au second sens. Ça aurait pu s’appeler aussi bien « Bon pied, bon œil » ou « Il était un foie », et la musique aurait pu être empruntée au groupe Abats…
Le début de la pièce, grâce à un habile dispositif de parois pivotantes nous permet de faire connaissance avec les principaux personnages et de découvrir leur caractère et, surtout, leur duplicité… Ils sont huit sur scène, mais un seul, le Denis Blair précité, est sérieux tout du long. En revanche, les six autres protagonistes sont vraiment graves. C’est un des points forts de la pièce : ce brave garçon complètement dépassé par les événements qui cherche à s’en sortir par tous les moyens est comme un insecte pris au milieu d’une toile d’araignée. Plus il se débat, plus il s’enfonce. Chaque personne dont il espère recevoir de l’aide l’entraîne encore plus profondément dans son désarroi. Ils sont tous plus dingues et tarés les uns que les autres. Quelle brochette ! En tout cas, ce ne sont pas de frigides barjots car les trois hommes, Oliver Blatt, Terry Bush et le Pasteur, follement épris de madame Blair, sont très portés sur la chose, Doris est une nymphomane absolue et la belle-mère, Queenie Loverett est très friande d’allusions salaces… Il n’y a donc que ce pauvre Denis qui soit à peu près normal.
Si vous êtes un rationnel compulsif, cette pièce, vous l’aurez déduit, ne vous est pas adressée. Elle nage dans l’absurde, se vautre dans l’extravagance, cousine même parfois avec la démence. Les comédiens se prêtent avec une gourmandise évidente aux comportements les plus saugrenus. La palme de la schizophrénie revenant à mon goût à Gilles Vajou qui campe un pasteur pour le moins ambigu. Mais tous les autres sont bien gratinés eux aussi.
La pièce est un peu en dents de scie. Parmi les pointes, bien piquantes, il y a un bon humour noir avec une appétence pour le grand guignol, un passage digne du plus trépidant des cartoons, un clin d’œil (que j’espère volontaire) à Psychose, une bande-son digne du cinéma qui souligne les rebondissements, et une musique et des jeux de lumière empruntés aux films d’épouvante… Il y a aussi une autruche dressée (c’est le huitième personnage) qui se livre à une prestation tout à fait convaincante.
Et puis… Et puis il y a Karine Dubernet ! Elle n’est pas longtemps sur scène, mais sa composition à elle seule justifie que vous fassiez « des pieds et des mains » pour vous rendre au théâtre Fontaine. Cette fille est incroyable. Elle est une des dignes héritières de la bande du Splendid. Son personnage pourrait être la fille que le sinistre Papa Schultz (Francis Blanche dans Babette s’en va-t-en guerre) aurait pu concevoir avec la démoniaque Annie Wilkes (Kathy Bates dans Misery). Son numéro est digne de l’anthologie. C’est vraiment le grand moment de la pièce. Elle la booste complètement, lui donne soudain une autre dimension et, surtout, elle en fait oublier toutes les imperfections.
Parmi ces imperfections, il y a parfois un jeu un peu outré de la part de certains comédiens (un burlesque trop appuyé tue le burlesque) et puis il y a ça et là, plus particulièrement dans la bouche de Queenie Loverett, quelques grivoiseries faciles et gratuites, niveau CM2, qui n’apportent rien…
Gilbert "Critikator" Jouin