Ce n’est pas tous les jours que des expériences en grandeur réelle permettent d’illustrer quelques principes économiques de base de façon éclatante. Actuellement, cependant, plusieurs pays sont bien partis pour explorer à nouveau les voies gluantes du collectivisme échevelé et nous sommes aux premières loges pour analyser ce qui se passe et, peut-être, en tirer quelques leçons.
Je passerai rapidement sur le cas français qui découvre tous les jours que l’effet Laffer n’est pas du tout du pipeau ; il faudra très probablement encore des mois pour que le concept parvienne aux oreilles des pâtisseries tièdes qui nous servent de dirigeants, pour qu’ils en tirent des leçons diamétralement opposées au bon sens et qu’ils agissent alors consciencieusement pour aggraver la situation.
Je pourrai aussi décrire les affres dans lesquels est plongée l’Argentine, depuis l’accession au pouvoir des Kirchner, mari et femme, et qui tente actuellement de nouvelles aventures dans le domaine de l’inflation créative. Mais comme Contrepoints a déjà produit quelques fort bons articles à ce sujet, je vous redirigerai simplement sur ceux-ci.
Parallèlement à ces deux pays (et si l’on exclut d’office les joyeuses dictatures prolétaires cubaines et nord-coréennes qui ne nous apprennent rien de la misère et de la désolation qu’un régime communiste provoque), on trouve le Venezuela, variante colorée et vivante d’un collectivisme légèrement alternatif avec cette spécificité latino-américaine qui apporte tous les jours son lot d’information délicieusement WTF.
En effet, il faut savoir que lorsqu’un pays choisit la route de la servitude pardon la voie joyeuse du collectivisme plus ou moins assumé, il s’ensuit généralement des déboires prévisibles et que l’histoire aura permis d’énumérer. Ce sont par exemple les fermetures des frontières, le contrôle strict des changes et des banques (voire leur disparition complète), la disparition des marchés boursiers, la planification complète de l’économie, la nationalisation à tour de bras, le tout suivi assez rapidement de pénuries sévères en nourriture ou en biens de consommation courante. Là où dans un système capitaliste de base, les pains attendent en ligne le consommateur, dans les systèmes collectivistes, c’est l’inverse : les consommateurs attendent en ligne un peu de pain.
Pour le Venezuela, les années Chavez furent assez éclairantes puisque le bouillant communiste aura rebondi dans le tourbillon de ses pensées brouillonnes de l’interventionnisme étatique tous azimuts vers une collectivisation à base de nationalisations diverses et variées sans pour autant franchement oser la dictature prolétarienne pour laquelle on le sentait intellectuellement mûr. Comme le relatait Contrepoints à la mort du président vénézuélien, Chavez a laissé un pays disposant d’une des plus riches réserves pétrolières du monde au bord de la ruine :
Disparités spectaculaires de revenus, criminalité galopante, le Venezuela est typique de ce gaspillage clientéliste qu’on retrouve chez les États socialistes (…) l’industrie à présent compte deux fois moins d’entreprises qu’il y a quinze ans (…) les raffineries de pétrole du pays ont fermé les unes après les autres, obligeant ce pays, si riche en pétrole, à importer tous ses carburants (…) les coupures d’eau et d’électricité se multiplient et dépassent souvent plusieurs heures par jour.
Et ce mélange de bidouillages sociaux pas toujours heureux et de tripotages économiques catastrophiques aura entraîné les habituels effets de bords des pays sur la voie du collectivisme … À la différence que cette fois-ci, Chavez et son successeur, Nicolas Maduro, auront introduit une bonne dose d’inventivité dans les contrariétés de leur peuple.
Ainsi, l’approvisionnement en papier est devenu particulièrement problématique. Au début du mois de septembre, de nombreuses pénuries ont conduit trois journaux vénézuéliens à fermer purement et simplement, le papier n’étant plus disponible pour leur production. Dans un monde où, pourtant, le papier n’est pas considéré comme une denrée particulièrement rare, et dans un pays où, de surcroît, il ne manque ni de bois, ni vraiment pas d’énergie pour le transformer en papier, on se demande un peu comment on en est arrivé là mais le résultat est sans appel : la presse ne peut plus fonctionner normalement sur place.
Cette pénurie de papier pour les journaux n’est pas la seule puisque — toujours au rayon papeterie — le papier hygiénique vient lui aussi à manquer. C’est assez gênant d’autant que si l’on peut assez facilement se passer de lire la presse, il est toujours plus délicat de se passer de papier hygiénique (même si, je le conçois fort bien, dans bien des pays à commencer par la France, papier hygiénique et papier presse se confondent admirablement bien). Devant cette pénurie, le gouvernement de Maduro, tout aussi calme, pondéré et communiste que son prédécesseur Chavez, a décidé que le Peuple ne pouvait pas se passer de cette denrée rare et a fait intervenir l’armée.
Ce pourrait être rigolo si ces pénuries ne cachaient pas le profond malaise économique du pays. Bien évidemment, la presse française (Le Monde par exemple) relaie cette information avec le mélange indispensable d’humour, de propagande et d’oubli des éléments essentiels de contexte pour que ces pénuries passent pour d’aimables péripéties dans la vie du pays sud-américain :
Pour le gouvernement, les pénuries sont le résultat d’une « guerre économique » menée par le secteur privé. Le président, Nicolas Maduro, dénonce « les accapareurs » et « les spéculateurs » qui se refusent à vendre leur production et jouent la carte du pire pour faire s’effondrer l’économie et le régime.
Ben tiens. On précisera bien qu’il y a un étroit contrôle des changes et que les capitaux sont, pour ainsi dire, gelés, mais on enrobera cette réalité indiscutable par l’utilisation d’une périphrase commode :
Les économistes proches de l’opposition, eux, pointent du doigt le contrôle des changes et des prix en vigueur depuis plus de dix ans
Méchante opposition qui ose attribuer à des actions de Chavez les effets observés aujourd’hui ! Vilains économistes « proches de l’opposition » qui pointent du doigt au lieu de se le fourrer dans l’œil comme il se doit pour toute opposition, forcément bête (puisque c’est l’opposition) ! La petite musique d’un Monde tendrement acquis à la cause chaviste (et qui permet au folliculaire de faire un ahurissant rapport avec les quarante ans du coup d’état contre le président chilien Salvador Allende – WTF ?) permet de glisser sur l’évidente catastrophe que représente le contrôle des changes, des prix et des capitaux.
D’ailleurs, il n’est qu’à regarder l’absence presque parfaite de toute analyse, de tous commentaires concernant la pourtant très emblématique recrudescence des passagers « no show » sur les vols en partance de Caracas pour comprendre l’embarras des thuriféraires du collectivisme à la vénézuélienne : tout juste Libération se contente-t-elle de reprendre une de ces dépêches de l’Agence Fausse Presse où l’on découvre, assez effaré, que certains vols vénézuéliens affichent plus de 30% de places physiquement libres bien que pourtant payées. La raison ? Une loi autorise en effet les Vénézuéliens à obtenir des devises (des dollars américains, en l’espèce), exclusivement pour les voyages à l’étranger. Le citoyen malin achètera donc un billet, et pourra alors échanger ses pesos contre des dollars au cours officiel (environ 6.3 pesos pour 1 dollar). Il lui suffira ensuite de revendre les dollars au marché noir, au cours actuel d’environ 40 pesos par dollar. La culbute est très intéressante et, comme l’expliquent de nombreux pratiquants, permet aussi de refaire le plein en vêtements et autres denrées devenues rares dans un pays qui, je le rappelle, est un très gros exportateur de pétrole.
Le plus catastrophique de cette histoire est qu’en surcroît d’avions qui volent au tiers vide, le remboursement des billets non autorisés entraîne des fortes pertes financières pour les compagnies aériennes, d’autant que la loi vénézuélienne leur empêche de pratiquer le surbooking (trop capitaliste, sans doute).
Le Venezuela a choisi, comme d’autres, la voie cotonneuse et joyeuse des nationalisations, du collectivisme et de l’interventionnisme d’État tous azimuts. Le pays se prend donc toutes les tares associées à cette voie : autoritarisme gouvernemental, pénuries multiples, contrôle de la monnaie, inflation. Et comme dans absolument tous les cas où le socialisme a été appliqué, le marché, interdit par la loi ou repoussé par la force, retrouve un chemin vers les citoyens et les consommateurs, par la petite porte, au noir, sans arrêt. Comme dans tous les cas où les constructivistes tentent de déformer la société et la réalité pour la faire rentrer dans leurs moules et leurs préconceptions, cette réalité leur revient au museau dans un bruit sec et puissant.
Tout comme l’Argentine, le Venezuela montre ce qu’il ne faut surtout pas faire, et, sur le chemin que les Français persistent à prendre d’élections en élections, devrait leur apprendre le destin inéluctable qui les attend.