… Il me revint à la mémoire, qu’au matin de ce jour, mon premier amour de ma vie m’avait quitté. Une jeune femme avait décidé que je n’étais pas l’homme de sa vie. Certes j’avais posé le cadre de cette envolée, mais elle n’y montra aucune résistance. A croire qu’elle rêvait depuis longtemps de s’évaporer vers un ailleurs.
Mon regard était entièrement dédié à Emilie. Et elle n’était plus là pour accueillir mon attention. Voilà plus de six années que nous avions tout partagé, voilà six années que je m’endormais chaque nuit à son côté.
Ainsi tristement abattu devant la glace de mon présent, une nouvelle larme perla de ma vue. Nous étions au début du printemps et en moi je sentais tomber la première neige d’un hiver lunaire.
Toujours hypnotisé par ce lac aux reflets de miroir, je me rendis compte qu’il y avait bientôt une centaine d’années que je ne m’étais pas regardé. Voilà plusieurs révolutions terrestres que je ne m’étais pas touché. Et du bout du bout d’un doigt je regardais cette nouvelle possibilité. En cet instant une nouvelle relation naissait en moi. Je faisais connaissance avec une présence séculaire et immense de plusieurs univers, une présence incarnée à même mon souffle. Comme si la solitude eut quelque chose à me conter.
Comment avais-je pu ne pas la voir ? Cette question me coupa si sec l’inspiration que je constatai combien tranchant pouvait être ce partenaire. Celle-ci me donna l’impression qu’elle vivait au-delà de la vie et pourtant je le sentais en moi. Cette étrange solitude était là et me traversait à chaque pas.
Dès cette première rencontre je baissai le ton et montrai plus d’égard aussi.
Du souffle qui s’ensuivit, je vis pourquoi Emilie était partie.
Mon monde était si grand qu’elle ne pouvait plus croître et s’épanouir. Ses touchés étaient liés aux miens. Ainsi de m’aimer, elle n’avait plus le goût. La seule bonté qui lui resta lui permit tout juste de partir. Mais ces mots sont peut-être là pour me permettre de me protéger dans l’apitoiement de moi-même …
Aurais-je provoqué cette situation pour mon propre bien ?
Devant cette algarade je m’effondrai dans un second vide, les yeux ouverts sur une surface plus lisse que l’opale. Et pourquoi avais-je tant de lucidité en cette soirée d’un jeudi printanier ? J’en n’avais aucune idée et mon sentiment de nullité était si grand que je n’osai pas y repenser.
Après un quotidien qui remplissait mes matins, midis et soirées depuis six années, j’étais pétrifié à la pensée d’aller me coucher, d’aller sentir l’espace hadal d’un lit lorsqu’il n’est point garni de magie, lorsque le parfum convoité n’est plus que sous forme de traces, d’interstices si légers qu’on peut alors les confondent avec les souvenirs réanimés d’un spasme éthylique.
Au pourtour de ma peau commençait l’Univers. Ce perdu que j’étais n’allait plus avoir l’Eden de se perdre sur corps plus chaud que lui.
Comme une grande jérémiade, je fis connaissance avec un silence infini. Le malheur était que celui-ci n’était pas extérieur à mon être, mais bien qu’il soufflait par delà chaque oubliette de mon corps. Les yeux fermés, je le sentais battre en mon cœur qui se glaçait à chaque contraction. Entre la systole et la diastole ne se trouvait pas même assez de place pour y glisser un bémol : hiatus même fin, ne pouvait entrer dans ce malheureux chagrin.
Je voulus courir dans les bras d’Emilie pour qu’elle puisse arrêter cet axiome de gronder en moi. Mais cette fois, je ne pouvais plus. Je ne pouvais pas, car mes dernières paroles furent plus que saignantes. A la plume j’avais su embaumer nos six années comme vient le premier respire du nouveau né. Une simple lettre écrite avec le sang de mon cœur. Parce qu’elle était allée se donner en caresses et étreintes à un autre homme sans donner une seconde au temps, sans oser une semaine de célibat, et que cette bête allait passer tout son été avec elle grâce à des billets d’avion déjà achetés… Je m’étais permis l’impensable castration. Un cœur qui souffre de la maladresse, caresse en ses racines le désir de tuer :
« Chère Emilie, …
A suivre !