Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

Publié le 17 octobre 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

La pluie s’abat, l’eau pénètre la terre, entretient la vie.  Je pianote sur le clavier, mes yeux fixent l’écran, des symboles apparaissent au fil des électrons qui folâtrent dans les circuits.  Je frappe une balle de golf, elle se déforme, s’envole, fend l’air, tombe à une trop courte distance de moi, dans l’herbe, ou le sable.

À chaque instant, notre conscience interagit avec la matière.  Notre réel.

La matière est avare de ses secrets.  Depuis des siècles, les savants essaient de la comprendre, cherchent les lois fondamentales qui la régissent, qui se manifestent à travers d’innombrables phénomènes, les expliquent, les rendent cohérents, la cause produisant un effet, sans contradiction.  On rêve encore d’une interaction unique, source de toutes les relations qu’entretiennent les particules entre elles.

On théorise donc, on expérimente.  Parfois, l’expérience confirme la théorie.  Des secrets se révèlent, d’autres s’accrochent.

Il est une énigme que la matière prend un soin jaloux de protéger, un secret qui déjoue les investigations, les équations.  Toutes les particules de la matière, de la plus grosse à la plus petite, sont dotées d’une masse.  Quelle est la source de cette consistance de la matière ?

Selon la théorie, une particule ultime donnerait la masse à toutes les autres, une pièce manquante au puzzle de la matière : le Boson de Higgs.  Imaginée une première fois par François Englert et Robert Brout, elle fut proposée de manière indépendante et presque simultanée par Peter Higgs en 1964.  Les trois savants viennent tout juste d’ailleurs de recevoir le prix Nobel de physique.  Baptisé la « particule de Dieu » par le nobélisé, Leon Lederman, le boson de Higgs n’était jusqu’à récemment qu’une vue de l’esprit, une création des physiciens, destinée à rendre la matière intelligible, pour faire tenir une théorie, le modèle standard de la physique.

Que dit ce modèle ?  Que quatre forces régissent la matière : la force nucléaire forte qui assure la cohésion des noyaux atomiques, la force nucléaire faible qui se manifeste dans la radioactivité, la gravité qui fait tomber la pomme et s’attirer les planètes, l’électromagnétisme qui assujettit les électrons au noyau des atomes.  Ces forces s’expriment par l’intermédiaire de particules dites « médiatrices », les bosons, que s’échangent les particules de matière, les fermions (briques élémentaires de la matière, tels l’électron, le neutrino, le quark up, le quark down, etc.) quand elles interagissent entre elles.

Le boson de Higgs est un de ces « médiateurs », celui qui conférerait la masse des particules, LE médiateur de toutes les forces peut-être.  Comment agirait-il ?

Imaginez le vide baigné par le champ de Higgs, une assemblée de bosons occupant tout l’espace.  Une particule que nous percevons comme étant légère la traverse en catimini, à la manière d’un étranger qui se présente à votre party dans une salle bondée.  Il se promène, personne ne s’en préoccupe, il « interagit » peu ou pas avec vos nombreux convives, seuls quelques bosons, vous peut-être, s’agglutinant à son passage.  Inversement, une particule « célèbre » dans un bain de bosons de Higgs aura une forte interaction, avancera plus difficilement au travers des bosons qui s’agglutinent.  Elle apparaîtra plus lente, pataude, et donc… plus massive.

Pour faire jaillir un boson de Higgs du champ de Higgs, il faut un accélérateur de particules capable de fournir une énergie suffisante pour isoler des particules toujours plus massives lors de la collision.

Le 4 juillet 2012, le CERN* annonce avoir identifié hors de tout doute une nouvelle particule, un boson.  Depuis, on s’assure de sa réelle identité, s’il s’agit bien d’un boson de Higgs, quasi insaisissable, car extrêmement instable.  D’autres données doivent être récoltées.  Hélas, le LHC, grand collisionneur de hadrons situé à la frontière franco-suisse, est fermé pour bonification.  Au minimum, il faudra donc attendre 2015 pour en savoir davantage.

François Englert et Peter Higgs

Bien sûr, la physique ne s’arrêtera pas avec la découverte du boson de Higgs.  Elle prouverait le mérite du modèle standard, mais jusqu’à un certain niveau d’énergie.  Au-delà, les équations vacillent.  Une autre physique existe donc, une vision insoupçonnée de la matière, qui poussera plus loin notre connaissance du réel.  L’imagination s’active déjà, d’autres modèles théoriques émergent, tous aussi hypothétiques, tous aussi possibles.  Entre science et fiction, la marge est mince.

Dans l’attente de la confirmation de ces modèles, consolons-nous.  Quand nous serons tristes, que nous pleurerons, allégeons notre chagrin.  Un univers se cache en chacune de nos larmes.

*CERN : Conseil européen pour la recherche nucléaire.

Source : Mathieu Grousson, « Boson de Higgs, la “particule de Dieu” à portée de main », Science et Vi, no 1088, mai 2008, p. 54-70

 © Jean-Marc Ouellet 2013

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)