Interview de Vincent Mangematin, Professeur Senior au département Management et Technologie de l’Ecole de Management de Grenoble. A l’occasion d’une thèse qu’il encadre afférant aux nouveaux marchés de la santé, celui-ci pointe la différence qu’il existe entre e-santé et applications de bien-être.
L’Atelier : Quelle différence faites-vous entre les applications classiques de e-santé et ce que vous appelez les applications de “bien être” ?
Vincent Mangematin : La e-santé recouvre principalement l’utilisation de technologies numériques par les acteurs de la santé. On peut citer notamment le dossier médical personnalisé informatisé, le PMSI ou le transfert de données médicales. Il s’agit d’une informatique lourde, centralisée, disposant de droits d’accès. La e-santé est principalement utilisée entre professionnels et n’est pas « connectée » au patient. La thèse que j’encadre s’intéresse donc à un mouvement qui n’est pas encore labellisé mais que l’on pourrait qualifier d’ « applications de bien être ». Les caractéristiques des applications de bien être répondent en fait à la demande holistique des patients en matière de santé quand la médecine n’est aujourd’hui que fonctionnelle. Dans ce contexte, le médecin n’est plus le seul sachant.
Vous répartissez celles-ci en trois catégories...
En effet, vous avons identifié trois types d’applications participant à cette économie. Les applications pour smartphone sont déjà très largement développées. Elles recueillent des informations personnalisés permettant de mesurer les performances lors d’activités sportives telles que la distance parcourue, les calories dépensées ou de mesurer votre rythme de sommeil par exemple. Des pure players comme Withings ont également un rôle prépondérant. La balance connectée de cet acteur français peut servir de véritable appareil biométrique puisqu’elle sait tout de vous. Utilisant un activity tracker relié par Bluetooth au smartphone, celle-ci peut en effet suivre votre poids, votre composition corporelle, votre rythme cardiaque, vous inciter le cas échéant à intensifier ou ralentir votre activité… Enfin, l’ensemble des sites webs, des blogs dont la dominante est la santé et le bien être permettent au patient de disposer d’informations, de benchmarker traitements, modalités de prise en charge ou même médecins. L’ensemble de ces applications redonnent du pouvoir aux individus.
Celles-ci semblent majoritairement se concentrer sur l’activité physique. Quelles pathologies peuvent être traitées par les applications de bien être ?
Effectivement, elles ne s’adressent pas uniquement au patient puisqu’elles permettent de faire de la prévention et ainsi concernent également les bien-portants. Les applications les plus utilisées sont les activités sportives, pour améliorer le bien-être et gérer son capital santé, les questions liées au sexe qui reflètent des préoccupations plus intimes souvent difficiles à aborder avec son médecin, la grossesse, période durant laquelle ces applications s’avèrent d’une grande utilité et les régimes. Enfin, ce sont toutes les maladies actuellement mal traitées par la médecine qui sont concernées et notamment la prévention des maladies cardio-vasculaires, des pathologies comme l’apnée du sommeil ou de douleurs globales comme le mal de dos ou de tête.
Avec ce type de changement d’orientation, comment peut-on imaginer, dans un avenir proche, le paysage et le fonctionnement du domaine de la santé ?
Le point d’entrée dans la santé change. Actuellement l’entrée dans la santé se fait par le médecin généraliste quand demain ce sera l’individu lui-même qui constituera ce point de départ en possédant quantité de données sur lui-même. Par ailleurs, la présence des acteurs du digital s’étend aussi à la recherche. En effet, les quantité de données disponibles sont gigantesques et permettent de distinguer des profils d’individus. Aujourd’hui même, Google constitue le meilleur prédicteur d’épidémie et bat à plate couture les acteurs traditionnels.
Et dans le domaine pharmaceutique ?
Les firmes pharmaceutiques vont, si ce n’est changer de modèle, ajouter des modèles. Cela passera par des rachats de start-up ou encore par des alliances avec des entreprises des TIC. En effet, leur business model actuel est basé sur leurs liens avec les hôpitaux et les médecins. Leur valeur ajoutée est donc challengée par les acteurs digitaux du bien-être. D’autre part, il est à souligner que beaucoup de ces acteurs sont français ce qui peut rendre optimiste.
Quels sont les obstacles que l’on constate à l’implémentation globale du digital dans le domaine de la santé ?
Les médecins ne sont pas des geeks. Ils connaissent l’informatique médicale. La technicité constitue pour eux un réel challenge même si 95% des médecins vont sur Internet pour mieux se renseigner sur les maladies. La législation peut également constituer un facteur bloquant. Ayant pour habitude d’organiser tout autour de lui, l’organe législatif pourrait voir d’un œil méfiant que la santé soit investie par de nouveaux acteurs issus de l’IT. Il s’agit d’un point qui pourrait faire que santé et bien-être ne convergent pas complètement. Les Etats-Unis disposent d’un socle plus propice au développement de ces applications notamment du fait des assurances privées qui poussent à la prévention. En effet, il coûte moins cher de prémunir la population contre les burnouts ou les maladies cardiaques que de les guérir.