On marche sur la tête

   La scène se déroule dans le cabinet du docteur M., médecin généraliste dans un quartier ordinaire de la ville de N. Une mère et sa fille de quinze ans sont sagement assises côte à côte devant le bureau du patricien. Il les connaît bien toutes les deux. Il suit la mère depuis sa grosses et la fille depuis sa naissance. « Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » « Tout va bien docteur. C’est juste que ma fille trouve que l’acné, ça ne fait pas trop… » La jeune fille tente un maigre sourire. « Bien. Je vois. Je vais te donner une petite pilule à prendre chaque matin. » Et il prescrit sans attendre une boite de "Diane25". « Reviens me voir dans six mois. » Elles se lèvent, remercient et sortent tandis que la patiente suivante se précipite. « Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » Les joues de la jeune fille qui s’assoit à son tour devant lui arborent un beau rouge écarlate. « Avec mon copain, vous comprenez. Il voudrait mais moi… ». « Bien. Je vois. Je vais te donner une petite pilule à prendre chaque matin. » Et il prescrit sans attendre une boite de "Diane25". « Reviens me voir dans six mois. »Elle se lève, remercie et sort tandis que la patiente suivante se précipite. « Ah ! Madame Dupont. J’ai reçu les résultats des analyses ». Madame Dupont arbore une cinquantaine dynamique malgré quelques signes de fatigue que le maquillage masque mal. « Bon ! Ce n’est pas grave mais il va falloir le traiter ce méchant diabète. Je vais vous donner… » Il prescrit sans attendre une boite de Médiator. « Revenez me voir dans six mois. » Madame Dupont se lève, remercie et sort tandis que la patiente suivante se précipite. « Bonjour madame Durand. Qu’est-ce qui ne va pas ? » « Voilà, docteur, je suis de plus en plus essoufflée lorsque je monte l’escalier. » Le docteur M. ausculte longuement madame Durand. « Bien. Je vois. Il faudrait peut-être perdre un peu de poids. Vous comprenez. Je vais vous donner… » Et il prescrit sans attendre une boite de médiator. « Revenez me voir dans six mois. » Madame Durand se lève, remercie et sort. Elle se rend dans la pharmacie qui fait l’angle de la rue. Elle va devoir attendre. Une jeune fille et sa mère sont à la caisse et parlent avec la pharmacienne. Une vendeuse prend l’ordonnance d’une seconde jeune fille, la déchiffre, sourit discrètement et part à la recherche de la commande. Madame Dupont se retourne à cet instant en entendant la porte se refermer. « Bonjour Madame Durand. Rien de grave j’espère ? » Elles échangent ainsi quelques nouvelles sans importance, paient leur dû à la caisse et rentrent chez elles. Elles ont hélas oublié que si elles étaient des patientes dans le cabinet du médecin, elles sont devenues des consommatrices en franchissant le seuil de la pharmacie. Certes, l’automédication est formellement déconseillée.  En effet, le pourcentage de malades qui consultent leur médecin et ont également suivi jusqu’au bout des études de médecine ou de pharmacie est très faible. Le patient est donc globalement réputé peu connaisseur des affections et des remèdes qui les soignent. Cependant, il est fortement conseillé au consommateur de ces mêmes remèdes de lire la notice qui les accompagne obligatoirement. Si une contre-indication quelconque se présentait dans la prescription du médecin généraliste, il faudrait sans attendre consulter son médecin généraliste à qui on peut faire entière confiance pour régler le problème. Le vieux bougon s’interroge. « Est-ce que, quelque part, ce système ne marcherait pas sur la tête ? » Les professionnels de la profession répondront bien entendu que non. La preuve en est qu’au bout d’un certain nombre de morts les médicaments à risque sont interdits. Ce qui représente une sécurité réelle en regard des morts occasionnées par les boissons énergisantes, par exemple. Ne relevant pas de la pharmacopée, elles ne sont pas interdites à la vente. On peut donc être totalement rassuré. Le monde tourne rond !

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