Aux questions qui figurent en 4ème de couverture (1), Pierre Le Pillouër répond par une suite composée de textes brefs pour la plupart, oscillant entre l’aphorisme et le poème, écrits à la lettre près – avec raison puisque tout, dans la langue comme ailleurs, tient dans les détails. En fait, il s’agit de
ne pas trop gratter
juste un peu
pour que le mot
muselé
laisse apparaître le
musclé
Les poèmes opèrent donc une découpe énergique qui dispose avec précision les mots sur la page, tentant ainsi de mettre à nu leurs différentes facettes, parfois jusqu’à l’épellation (2). Cela dit, les nombreux calembours, contrepèteries et autres jeux verbaux utilisés ne doivent pas laisser croire que l’on n’aurait affaire qu’à une pratique purement ludique tandis qu’il s’agit plutôt ici de dégager des pensées souvent teintées d’un humour incisif, y compris envers l’écriture elle-même. En effet, au grattage, les couches de l’Histoire peuvent affleurer :
des os lents
et
loin d’être
désopilant
qui se prive de
pays
De plus, quand apparaissent la 1ère et la 3ème personne du singulier (quelquefois entremêlées), ce qu’elles semblent désigner, malgré une constante distance référentielle, n’en garde pas moins une certaine densité tragicomique (3) :
moi aussi fut
un porc peureux
puis de réduction en réduc
de rc
peu
moi reste poreux
D’ailleurs l’auteur refuse tout autant une géométrie variable qui mènerait inévitablement au flou, à l’interchangeable – recherche de paroles qui / riantes et criantes / soient sans contraires – que la prétention à atteindre un absolu par l’écriture – collage de heurts et hors / vues de la terre à terre et du reste // désacralisation de l’énigme et du texte. Du coup, c’est bien la pirouette qui, sans masquer ses limites, permet le mieux de faire face :
moquerie du mot cru
moquerie du mot crâne
moquerie du mot cri
Quant aux éclats laissés par les autres gratteurs, ils sont nombreux et plus ou moins faciles à identifier (Rimbaud, Dante, Dostoïevski, D. Roche, etc.), prouvant que le terrain, si on ne le livre pas à des travaux d’aplanissement qui risquent de mener à la platitude, ne date pas d’hier et comprend les éléments les plus divers :
Ici
pas de coquille ni omission
rien qui fasse article
juste un autel
pour le culte
qui laisse en plan
Didon comme Enée
Madonna ou Philippe de Champaigne
En somme, bien qu’approfondies au fil du livre, les questions initiales restent évidemment en suspens, l’essentiel étant de ne rien ajouter qui n’éclaire sous un autre jour, de façon à en finir avec les litanies mortifères / et ne plus trembler devant le faux, le vide, le lent, l’obscur, le vieux, le répété, / l’énuméré
Contribution de Bruno Fern
1. Comment faire sortir l’aphorisme de l’alignement
mortifère ?
Comment enchaîner un mot à une phrase ?
Comment cesser de se répéter, de commenter ?
Que reste-t-il de la poésie quand on enlève la pose ?
Peut-on continuer, reprendre l’expérience des pères avec les pairs pour seuls
lecteurs ?
En quoi le poétique devient-il, plus poliment, politique ?
2. « Ecrire, c’est être capable
de montrer l’anatomie. » (C. Royet-Journoud, La poésie entière est
préposition, Eric Pesty Editeur, 2007).
3. « De la vaporisation et de
la centralisation du Moi. Tout est là. » (C. Baudelaire, Mon cœur mis à
nu)
Pierre Le Pillouër
ajouts contre jour
Le Bleu du Ciel, 2008,
95 p., 14 €