Alcoolisme : les nouveaux traitements vont-ils changer la donne ? | Medscape France:
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Alcoolisme : les nouveaux traitements vont-ils changer la donne ?
Auteur : Aude Lecrubier
25 mars 2013
En France, l'alcool reste l'un des principaux problèmes de santé publique. Comme l'a rappelé une étude récente, l'alcool tue en France 134 personnes par jour, dont une majorité d'hommes et de jeunes adultes [1].
En revanche, depuis peu, rares sont les mois, voire les semaines, qui s'écoulent sans l'annonce d'une bonne nouvelle dans le domaine des traitements de l'alcoolisme.
L'actualité des médicaments de la dépendance à l'alcool est particulièrement riche et prometteuse. Après l'annonce d'une AMM européenne pour Selincro® (nalméfène), le premier traitement pris « occasionnellement » pour réduire la consommation d'alcool, et le lancement de deux essais cliniques pour le baclofène (Liorésal®, Baclofène®), une nouvelle étude sur le GHB devrait, peut-être, lui valoir une indication dans le traitement de l'alcoolodépendance d'ici 1 à 2 ans.
Les patients alcoolo-dépendants devraient donc bientôt pouvoir bénéficier d'un arsenal thérapeutique plus adapté aux besoins de chacun. Ces traitements médicamenteux « sur-mesure » vont-ils drastiquement changer la donne ? Et si oui, comment ? Le Pr Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l'université Paris Descartes et responsable du service psychiatrie à l'hôpital Tarnier (Paris) répond à Medscape France.
Point de vue du Pr Bernard Granger
Medscape : L'actualité concernant les traitements médicamenteux de l'alcoolo-dépendance est très riche. Comment s'y retrouver ?
Ce que nous pouvons dire, c'est que le baclofène (Liorésal®, Baclofène®) est de plus en plus utilisé, même s'il l'est hors AMM, car il est très efficace. En avril 2012, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a d'ailleurs assoupli sa position sur l'usage du baclofène dans le traitement de l'alcoolo-dépendance hors AMM.
Les deux études de cohorte qui ont évalué la molécule dans le traitement de l'alcoolo-dépendance montrent des résultats supérieurs à 50% en termes d'abstinence ou de consommation modérée à un ou deux ans. Nous-mêmes avons une cohorte d'une centaine de patients et nous observons les mêmes résultats. Ce qui est frappant, c'est la qualité des résultats : les patients se sentent « libérés » car l'alcool leur est indifférent, alors qu'il avait hanté leur vie. C'est très remarquable par comparaison avec les effets obtenus par les autres traitements et les autres méthodes thérapeutiques. En revanche, il faut bien surveiller les patients étant donné le risque d'effets secondaires. Le baclofène agit sur les récepteurs gabaergiques de type B, très nombreux dans l'organisme, ses effets sont donc multiples. Nous observons, notamment, beaucoup d'effets sensoriels, même s'ils sont transitoires. Il faut aussi mettre en balance les effets secondaires du baclofène et les effets destructeurs de l'alcool… Nous attendons avec impatience les résultats des deux études en double aveugle contre placebo actuellement menées en France. Mais, les résultats des études de cohorte donnent une preuve d'efficacité, certes inférieure à celle des études en double aveugle contre placebo, mais qui ne doit pas être ignorée.
Autre actualité chaude : le nalméfène (Selincro®, Lundbeck) vient de recevoir une autorisation de mise sur le marché européenne pour une catégorie particulière de patients qui ne présentent pas de symptômes physiques de manque et qui ne nécessitent pas de détoxification immédiate. Il est utilisé à la demande et peut s'avérer intéressant chez les personnes qui ont une forte consommation occasionnelle. En revanche, il n'a pas une efficacité très importante si l'on en croit l'étude en double aveugle contre placebo ayant justifié son autorisation : 11 g/j d'alcool en moins en moyenne par rapport au placebo sur 6 mois, pour une consommation moyenne avant traitement de 85 g/j (respectivement 34 g et 45 g en moyenne par jour le 6e mois). On ignore si les résultats se maintiennent au-delà, car dans une étude en double aveugle contre placebo menée sur 12 mois et destinée principalement à évaluer la sécurité d'emploi, la différence entre le placebo et le nalméfène n'était pas significative.
Concernant, l'oxybate de sodium, dit GHB, gamma-OH ou « drogue du violeur » (Alcover®, Gamma-OH®), une nouvelle étude vient de débuter dans l'objectif d'obtenir une AMM contre l'alcoolo-dépendance en France avec une forme du produit en granules. Le produit est déjà autorisé sous forme liquide en Autriche et en Italie en prévention du syndrome de sevrage et dans le maintien de l'abstinence. Mais, ces autorisations sont anciennes, il était donc nécessaire de mener une nouvelle étude répondant aux critères actuels (durée suffisante, nombre suffisant de patients..). Menée en double aveugle contre placebo, elle devrait permettre d'obtenir des données beaucoup plus robustes.
En France, et dans d'autres pays, le GHB est actuellement commercialisé dans le traitement de la narcolepsie-cataplexie sous le nom de Xyrem® (solution buvable d'oxybate de sodium : 500mg/ml). Il est classé dans la catégorie des stupéfiants.
La liste des mises en garde du Xyrem® est impressionnante: dépression respiratoire, risque d'abus et de dépendance, dépression du système nerveux central, porphyrie, effets neuropsychiatriques (confusion, anxiété, psychose, paranoïa, hallucinations, agitation), somnambulisme… Aussi, l'utilisation concomitante avec les benzodiazépines doit être évitée.
Le GHB a une double action. Il agit comme agoniste des récepteurs gabaergiques, comme le baclofène, mais aussi sur des récepteurs au GHB spécifiques présents dans le cerveau. Son action est donc plus large que celle du baclofène. Etant donné le profil de cette molécule, on pourrait supposer qu'il s'agit du baclofène avec des dangers en plus. La nouvelle étude française nous le dira.
Et concernant les molécules qui ont déjà une AMM en France ?
Trois molécules ont actuellement une AMM en France dans le traitement de l'alcoolodépendance. Il s'agit de l'acamprosate (Aotal®, Campral®), de la naltrexone (Nemexin®, Revia®) et du disulfirame (Esperal®). L'acamprosate et la naltrexone sont indiquées comme traitements de soutien dans le maintien de l'abstinence chez les patients alcoolo-dépendants. Elles n'ont pas fait la preuve d'une grande efficacité.
Le mécanisme supposé de la naltrexone est le blocage de certains récepteurs morphiniques (système de récompense) pour enrayer la prise d'alcool. L'acamprosate est un dérivé synthétique de la taurine possédant une ressemblance structurelle avec l'acide gamma-aminobutyrique (GABA) ; il diminue la transmission glutaminergique.
Enfin, le disulfirame (Esperal®) va générer une réaction antabuse. En cas de prise concomitante avec de l'alcool, le patient va être victime d'une réaction désagréable (malaise, anxiété, troubles neurovégétatifs, hypotension artérielle). Le médicament a un très fort effet dissuasif par anticipation qui permet à certains patients de devenir abstinents.
Mais, les médicaments peuvent-ils tout ?
La prise en charge des patients peut parfois se limiter à la prescription d'un produit très puissant comme le baclofène mais, le plus souvent elle nécessite aussi une prise en charge psychologique ou psychiatrique qui n'est pas nécessairement centrée sur l'alcool. Dans certains cas, il peut aussi être important d'avoir recours à une assistante sociale. Lorsque l'on obtient une abstinence ou une forte diminution des prises d'alcool, les problèmes masqués par l'alcool sont mis à nus. Il faut aider les patients à reconstruire leur vie. Il ne faut pas imaginer qu'un médicament peut tout résoudre. Mais tant que l'alcool est là, on ne peut pas faire grand-chose.
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