D'après Guy de Maupassant :

Publié le 16 octobre 2013 par Dubruel

LE MAL D’ANDRÉ

En 1840, à Cormeilles,

François de Boureynes,

Jeune et beau capitaine,

Courtisait Mathilde du Breilh,

La femme du notaire.

Un jour, le notaire

S’absenta une semaine

Pour régler une importante affaire.

Mathilde en profita pour céder

À l’insistance du capitaine.

La nuit suivante, elle se déshabillait

En sortant de ses jupons

Comme une main sort d’un manchon.

Elle s’étendit sur le lit

En recommandant :

-« François, soyez vigilant.

Évitez, cette nuit,

De faire du bruit :

Mon bébé, André, dort juste à côté ;

Et il a le sommeil léger. »

Mais en la rejoignant,

Le capitaine, empressé et négligeant,

Fit tomber sur le parquet

Son casque et son baudrier.

Ce bruit réveilla André

Qui se mit à hurler.

-« Tu sais, quand André pleure ainsi,

Mon mari le prend dans notre lit.

Là, il se calme, je te le promets.

Me permets-tu d’aller le chercher ? »

Coincé entre sa mère et le soldat,

André, en effet, se rendormit.

Mathilde alla

Le recoucher dans son petit lit.

Au matin, le capitaine, satisfait,

Demandait : 

-« Mon trésor,

M'acceptes-tu demain encore ? »

Le soir suivant,

Quand Boureynes est arrivé,

Il posa son casque et son baudrier

Sur le fauteuil, délicatement.

…Mais c’est le lit qui a craqué.

Les hurlements du nourrisson

Allaient réveiller

Toute la maison.

La mère s’élança

Et se recoucha,

Avec le bébé, dans son lit.

François, lui,

Ne se leva pas

Mais, furieux, s’écria :

-« Va-t-il se taire ! »

Il saisit entre deux doigts

Un morceau de chair

À la cuisse du rabat-joie

Et se mit à pincer,

Lâcher et repincer.

Il prit un autre bourrelet,

Serrait et tordait,

Fit de même avec un autre,

Puis encore un autre.

André lançait des clameurs

Semblables à celles du porcelet

Placé sous le couteau d’un égorgeur.

La mère tenta d’apaiser

Son bébé mutilé.

Mais il devenait violet

Et vibrait de mille secousses.

Alors, le capitaine dit

D’une voix douce :

-« Remets ton petit dans son lit.

Une fois couché dans ses draps,

Il se calmera. »

En effet, ses cris s’apaisèrent.

Et les amants s’aimèrent.

Le lendemain, François revint encore

Mais il parla trop fort.

André se réveilla de nouveau

Et se mit à glapir.

Mathilde dût le sortir de son berceau.

Pour le punir,

Le capitainele pinça si durement,

Si longtemps

Qu’André suffoqua,

S’étrangla, écuma.

On l’a recouché. Il s’est calmé.

Et on ne l’entendit plus réclamer

Le lit maternel.

Le capitaine put aimer sa belle !

Quand le notaire rentra,

Il accomplit aussitôt

Ses devoirs conjugaux.

Puis il demanda :

-«Va chercher André. Je suis si heureux

Quand il est entre nous deux. »

Mathilde alla prendre son fils,

Le blottit entre elle et son mari.

…Mais André se mit à hurler.

Tant il se démenait

Que le notaire n’en revenait pas :

-« Mais, qu’est-ce qu’il a ?

Oh ! Mathilde, regarde, c’est affreux !

Le corps d’André

Est tout marbré

De taches bleues.

Il est malade.

Faisons venir le docteur Clausade. »

Mathilde, toute crispée,

Laissa échapper :

-« Oh ! le misérable ! »

-« Quel misérable ?

De qui parles-tu ? »

-« Rien. C’est…vois-tu, …»

-« Ah ! Je devine, c’est Mlle Faure.

Cette misérable nourrice

A dû le mettre au supplice

Parce qu’il criait trop fort. »

Le notaire la convoqua.

Elle nia. Il la congédia,

Puis alla rapporter les faits

Au bureau de placement et au curé.

Cette vilaine démarche a empêché

Mlle Faure d’être embauchée

Par une autre famille.

Et dût même quitter la ville.