LE MAL D’ANDRÉ
En 1840, à Cormeilles,
François de Boureynes,
Jeune et beau capitaine,
Courtisait Mathilde du Breilh,
La femme du notaire.
Un jour, le notaire
S’absenta une semaine
Pour régler une importante affaire.
Mathilde en profita pour céder
À l’insistance du capitaine.
La nuit suivante, elle se déshabillait
En sortant de ses jupons
Comme une main sort d’un manchon.
Elle s’étendit sur le lit
En recommandant :
-« François, soyez vigilant.
Évitez, cette nuit,
De faire du bruit :
Mon bébé, André, dort juste à côté ;
Et il a le sommeil léger. »
Mais en la rejoignant,
Le capitaine, empressé et négligeant,
Fit tomber sur le parquet
Son casque et son baudrier.
Ce bruit réveilla André
Qui se mit à hurler.
-« Tu sais, quand André pleure ainsi,
Mon mari le prend dans notre lit.
Là, il se calme, je te le promets.
Me permets-tu d’aller le chercher ? »
Coincé entre sa mère et le soldat,
André, en effet, se rendormit.
Mathilde alla
Le recoucher dans son petit lit.
Au matin, le capitaine, satisfait,
Demandait :
-« Mon trésor,
M'acceptes-tu demain encore ? »
Le soir suivant,
Quand Boureynes est arrivé,
Il posa son casque et son baudrier
Sur le fauteuil, délicatement.
…Mais c’est le lit qui a craqué.
Les hurlements du nourrisson
Allaient réveiller
Toute la maison.
La mère s’élança
Et se recoucha,
Avec le bébé, dans son lit.
François, lui,
Ne se leva pas
Mais, furieux, s’écria :
-« Va-t-il se taire ! »
Il saisit entre deux doigts
Un morceau de chair
À la cuisse du rabat-joie
Et se mit à pincer,
Lâcher et repincer.
Il prit un autre bourrelet,
Serrait et tordait,
Fit de même avec un autre,
Puis encore un autre.
André lançait des clameurs
Semblables à celles du porcelet
Placé sous le couteau d’un égorgeur.
La mère tenta d’apaiser
Son bébé mutilé.
Mais il devenait violet
Et vibrait de mille secousses.
Alors, le capitaine dit
D’une voix douce :
-« Remets ton petit dans son lit.
Une fois couché dans ses draps,
Il se calmera. »
En effet, ses cris s’apaisèrent.
Et les amants s’aimèrent.
Le lendemain, François revint encore
Mais il parla trop fort.
André se réveilla de nouveau
Et se mit à glapir.
Mathilde dût le sortir de son berceau.
Pour le punir,
Le capitainele pinça si durement,
Si longtemps
Qu’André suffoqua,
S’étrangla, écuma.
On l’a recouché. Il s’est calmé.
Et on ne l’entendit plus réclamer
Le lit maternel.
Le capitaine put aimer sa belle !
Quand le notaire rentra,
Il accomplit aussitôt
Ses devoirs conjugaux.
Puis il demanda :
-«Va chercher André. Je suis si heureux
Quand il est entre nous deux. »
Mathilde alla prendre son fils,
Le blottit entre elle et son mari.
…Mais André se mit à hurler.
Tant il se démenait
Que le notaire n’en revenait pas :
-« Mais, qu’est-ce qu’il a ?
Oh ! Mathilde, regarde, c’est affreux !
Le corps d’André
Est tout marbré
De taches bleues.
Il est malade.
Faisons venir le docteur Clausade. »
Mathilde, toute crispée,
Laissa échapper :
-« Oh ! le misérable ! »
-« Quel misérable ?
De qui parles-tu ? »
-« Rien. C’est…vois-tu, …»
-« Ah ! Je devine, c’est Mlle Faure.
Cette misérable nourrice
A dû le mettre au supplice
Parce qu’il criait trop fort. »
Le notaire la convoqua.
Elle nia. Il la congédia,
Puis alla rapporter les faits
Au bureau de placement et au curé.
Cette vilaine démarche a empêché
Mlle Faure d’être embauchée
Par une autre famille.
Et dût même quitter la ville.