La subtilité est pénible. Impossible à communiquer à grande échelle. Les exemples ne manquent pas, mais prenons un des plus tièdes du moment, la modification de la durée des cotisations pour l'assurance vieillesse.
La logique selon laquelle l'allongement de la durée de vie doit conduire à un allongement de la durée de cotisation n'est pas, en soi, une abomination. Dans un monde idéal, où la durée réelle du travail pourrait être décretée, décidée par la collectivité, passer de 40 à 41 ou 42 ans pourrait ne pas poser de problème majeur.
Les arguments fillonesques sont basés sur cette image d'Epinal, où d'ailleurs chacun va jusqu'au bout de ses 40 ou 41 ans, sauf, évidemment, les fainéants qui eux auront ce qu'ils méritent. Dans ce monde parfait, les femmes, par exemple, n'ont aucun mal à faire des enfants, s'en occuper, et aller jusqu'au bout de leur travail. Idem pour ceux qui font des études longues. Les 41 années de travail seront toujours simplement une question de volonté et de mérite.
Bien sûr, en réalité, on sait bien que les entreprises n'aiment rien plus que de virer leurs salariés quand ils sont à cinq ou six ans de la retraite et qu'ils coûtent très cher à la boîte, pour les remplacer par des jeunes qui n'en veulent. En réalité, le MEDEF se bat bec et ongle pour empêcher que l'on contraignent les entreprises. Ce qui leur importe bien plus que les 40 ou 41 années de cotisation, c'est leur droit de virer les quinquas.
Comme les bonnes nouvelles n'arrivent jamais seules, Christine Lagarde annonce la suppression de la dispense de recherche d'emploi pour les chômeurs en fin de carrière. Et le pouvoir va rendre beaucoup plus difficile (en principe en tout cas) le maintien des allocations de chômage. Tout va dans le sens donc d'une précarisation grandissante des seniors, qui seront ni embauchables, ni chômeurs, ni en pré-retraite, ni à la retraite, ni rien du tout. Nos quinquas risquent bien d'être pris en tenaille entre ces différentes mesures. C'est sympa quand on pense qu'ils ont voté massivement pour Sarkozy. L'essentiel est donc de dissimuler le fait qu'ils sont visés par ces "réformes".
Petit à petit, on s'éloigne du monde idéal où le niveau d'une retraite dépend de la volonté du travailleurs. Mais le pire, et c'est là où la subtilité entre en compte, c'est l'image d'un pays où chacun pourra travailler aussi longtemps qu'il le souhaitera cache le fait que le passage à 41 années de cotisation signifiera simplement, pour un grand nombre de (futurs) retraités qui, pour différentes raisons, ne pourront pas atteindre les 41 ans, une réduction franche de leurs retraites. Mais allez vendre ça aux téléspectateurs : on a décidé de réduire vos retraites de ... pourcent, et en plus, vous passerez, avant même d'y arriver une, deux, cinq ans en tant qu'RMIste. Vous avez fait des économies pendant toutes vos années de dur labeur ? Vous avez mis quelque chose de côté ? Super : ça vous permettra de vivre en attendant la retraite... réduite.
La question des retraites est subtile, difficile, compliquée. Il est tellement plus simple de tout réduire à des valeurs simples, monolithiques : pas d'accord, fainéant ?