La librairie Les Mots à la bouche est une institution. Elle est la première librairie spécialisée sur toutes les questions de genres et de sexualités. Installée rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, elle accueille une clientèle principalement LGBT du quartier le plus arc-en-ciel de Paris. Ouvert il y a trente ans, cet endroit est donc devenu mythique. L'éditeur et les organisateurs du festival de Blois y ont organisé une rencontre de signatures ce mardi soir pour le lancement d'un collectif original, sensible, réfléchi et juste regroupant des témoignages souvent émouvants, parfois révoltants, toujours soignés. Avec son titre Les Gens normaux, on pense aux Autres gens de Thomas Cadène, mais son sous-titre Paroles lesbiennes gay bi et trans précise le sujet. Si la BD de reportage se porte bien, ce livre en noir et blanc apporte une pierre qui aurait pu s'insérer par exemple dans la Revue dessinée.
Hubert © Manuel Picaud
Les Gens normaux sont un kaléidoscope de la population LGBT. La somme des parcours et des situations remet en cause l'idée d'une communauté unique, mais la décrit bien plurielle, mais souvent douloureuse. Chaque profil incarne une situation différente. On y parle du VIH, de l'homophobie, du désir d'enfant, de comportement sexuel, de découverte d'identités sexuelles, de violence. On y réfléchit aussi avec des papiers signés par des chercheurs, militants et politiques, tels Michelle Perrot, Louis-Georges Tin ou Robert Badinter. Au final, l'ensemble fait mouche et gagne le pari d'évoquer son sujet sans caricature, et sans parisianisme. "C'était une exigence pour parler de gens normaux où beaucoup peuvent se retrouver", justifie Hubert.Après avoir recueilli les témoignages, l'auteur a recherché un à un les dessinateurs et choisi pour eux les histoires à mettre en images. Ainsi Alexis Dormal débute un récit émouvant que son dessin fin et sensible atténue. Ainsi Merwan illustre à la manière d'un récit de voyages un récit cruel. Ainsi la patte souriante de Jéromeuh contraste avec son personnage peu sympathique. "J'ai failli abandonner", confie Jéromeuh qui a dû rediscuter avec le scénariste pour trouver le bon angle. Dans l'ensemble, tous les auteurs contactés ont accepté sauf pour des raisons d'agenda. Souvent le premier réflexe était "mais pourquoi moi ?", mais la confiance et l'amitié au scénariste ont permis de passer ce préjugé. Et au final, seul Hubert a vu les témoins dont beaucoup se confient de manière anonyme. Les dessinateurs ont donc vraiment imaginé les visages de leurs personnages.
Vous l'aurez compris : je soutiens et recommande vivement cet album qui s'adresse pour tout public, et donne des bases sérieuses et documentées pour aborder cette question de société. Bravo !
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