Les éditions Les Petits Matins publient une toute première
traduction en français de la poésie du poète, essayiste, traducteur allemand (de
Michaux, Beckett, Ashbery, Eschyle et Sénèque) Durs Grünbein. La préface du
livre est signée Georges-Arthur Goldschmidt. Une postface de Florent Lahache
complète l’ensemble en replaçant la poésie de Grünbein dans les enjeux
littéraires contemporains allemands et leur dialogue avec la poésie française.
La traduction est signée Françoise David-Schaumann et Joël Vincent.
II. 1918/19
Landwehrkanal*, le pont, grilles de fer.
C’est donc ici qu’elle mourut, tard dans la nuit, d’une mort de chat.
Assommée et évacuée comme une ordure de la pelle.
Pas un frisson ne parcourut les marronniers dans le gel.
Les uniformes gris recouvrirent la moindre tache rouge
De terre. Après l’hallali,
Son visage était défiguré par les coups de crosses de carabines,
Méconnaissables, ses hautes pommettes et la bouche
D’où, en ces jours, venait le danger.
Pour effacer toute trace, on traîna le corps dénudé
Lesté de pierres au fond de l’eau.
Là, près des carpes, l’ignominie allemande
Fut bien gardée jusqu’à la Chute.
Des gueules vulgaires se disputèrent la légende
D’une Jeanne d’Arc juive, qui chante l’insurrection…
Mauvais présage, une femme meurt avant que cesse
La bêtise qu’engendre une grande faim.
Sa façon d’aimer, était-ce là le scandale ?
*ndlr : Landwehrkanal
(De
l’un dans la foule)
Mais toi, tu fus vite repéré dans ton pantalon au pli bien marqué.
Cependant, ça ne te fait rien, semble-t-il, de poursuivre ton chemin en
sifflotant.
Ayant, dans la nuque, la sensation d’une étiquette,
ou quoi ? Sous la langue
le goût de l’eau du robinet de de boîtes de conserve.
En unité rigoureuse, tu continues à vivre. Habitué
à l’ordre des Dix…
Ne comptant que sur les choses dénombrables.
Qu’importent les contorsions
De Lacoon, - tu es ce trait de crayon allant de l’avant
À l’étroit par les rues, virgule, mal placée,
d’un typographe consciencieux
Pour qui la ville se décompose en texte imprimé, encarts et rubriques
Et les deux fois douze heures, les colonnes de lumière électrique
Sont assez de promesses. Bouche bée, tu t’appliques
à apprécier
Celles que les nombreux visages de la nullité jamais ne tiennent.
(De
la presse quotidienne)
J’ai mangé de la cendre au petit-déjeuner, la noire
Poussière qui tombe des journaux, des colonnes
fraîchement imprimée
Là où un putsch ne fait pas tache et l’ouragan est fixé.
Et il me sembla les entendre mastiquer, les Parques
discoureuses.
Quand dans la rubrique sportive la guerre éclata,
cautionnée par le cours des actions.
j’ai mangé de la cendre au petit-déjeuner. Mon régime
du jour.
Et de Clio, comme d’habitude, pas un traître mot….Alors,
en les repliant,
j’eus, au froissement des pages, comme un frisson à fleur de peau.
Durs Grünbein, Après les satires,
traduit de l’allemand par Françoise David-Schaumann et Joël Vincent, préce de
Georges-Arthur Goldschmidt, postface de Florent Lahache, coll. « Les
Grands soirs », éditions Les Petits matins, 2013, pp. 90, 101, 108.
Durs Grünbein dans Poezibao :
bio-bibliographie,
ext.
1 (présentation et traductions inédites de Nicolas Grenier)