Pour moi, la poésie explore
les conditions matérielles de la vie, elle exalte, par son extrême précision,
par sa distance par rapport aux émotions trop vives, la matérialité du monde ;
elle est très peu ou pas du tout fictionnelle. La fiction établit dans
l’écriture une logique interne au sein des phénomènes perçus du monde. Elle est
une sorte de montage, comme au cinéma, d’objets captés dans les diverses
réalités. La fiction joue à reconstruire. Elle est, pour moi, un reste de
ferveur issue de mes jeux d’enfant. Les notes prises servent à l’une ou l’autre
pratique, parfois aux deux.
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La littérature opère une décantation des phénomènes du monde et son
fonctionnement possède la faculté d’aiguiser les sens, de les décloisonner,
offrant une perception multidimensionnelle de ce monde. Le soi-disant problème
de la page blanche trouve sa cause dans une grave insensibilité temporaire au
monde. Et l’inspiration me paraît être une extrême sensibilité (ou empathie)
aux phénomènes physiques, chimiques, biologiques, sociaux, une sensibilité
telle, qu’elle oblige le créateur à la canaliser pour ne pas courir le risque
d’être blessé par ses perceptions trop aiguës.
(entretien
avec Frank Smith)