[note de lecture] Lawrence Ferlinghetti, "Poésie : Art de l’insurrection", par Bernard Bretonnière
Par Florence Trocmé
Il est des livres dont on commence à noter quelques phrases et qui, au
fil de la lecture, demanderaient à être presque entièrement recopiés. Lawrence
Ferlinghetti, figure de la première Beat Generation, étrangement moins en vue que Burrouhgs et Ginsberg, reste
un sacré bonhomme, aujourd’hui beau vivant de 94 ans. Publiée par MaelstrÖm, la
traduction (par Marianne Costa) de
Poésie : Art de l’insurrection, « petit livre rouge »
(délibérément présenté comme tel), apparaît comme un véritable vade-mecum, une
nouvelle (et combien valide) lettre à un jeune (et à une jeune) poète,
roborative, et remettant bien des pendules à l’heure... « Si tu n’as rien
à dire, ne le dis pas. [...] La poésie n’est ni une activité sédentaire, ni un
fauteuil à prendre. [...] Si tu veux être poète, invente un nouveau langage que
chacun puisse comprendre. [...] Sois poète, pas VRP. / Ne dénigre pas les
scolastiques qui pensent qu’un poème doit être plein, harmonieux, radieux,
vrai, beau et bon. [...] Pourquoi écouter les critiques qui n’ont jamais écrit
de grands chefs-d’œuvre ? [...] Tes poèmes doivent être quelque chose
de plus qu’une petite annonce pour cœurs brisés [...] Quand tu lis tes poèmes,
ne cherche pas à faire exploser les vitres dans l’arrondissement d’à côté...
[...] Ta vie, c’est ta poésie. Si tu n’as pas de cœur, tu écriras une poésie
sans cœur. [...] Trois lignes ne font pas un haïku. Il faut une épiphanie pour
qu’il jaillisse. [...] Évite le provincial. Va à l’universel. [...] Ris un bon
coup quand tu entends dire que les poètes sont des marginaux, des terroristes
potentiels ou un danger pour leur pays. [...] Ris au nez de ceux qui disent
« Faites de la prose jeune homme, faites de la prose ». [...] Sors de ton placard. Il fait noir
là-dedans. [...] Engage-toi dans quelque chose qui te dépasse. [...] Sois
un idiot Zen. »
C’est ici la dernière édition traduite en français de ce petit livre
« révolutionnaire » (l’édition new-yorkaise date de 2007), work in progress constamment enrichi par
son auteur depuis la fin des années 1950.
Ferlinghetti est le contraire absolu du cynique, un vieux sage joyeux qui aurait
entrepris de réécrire Lao-tseu avec un sourire en coin ; il est drôle,
parfois candide, résolument optimiste (la poésie reste pour lui « lumière
au bout du tunnel » qui « tient la mort à distance »), gentiment
subversif : « Tu imagines Shelley participant à un atelier de
poésie ? » Ce précieux petit volume contient « Qu’est-ce que la poésie », savoureux train de plus de
deux cents réponses à l’impossible question : « La poésie n’est pas
qu’héroïnes chevaux et Rimbaud. C’est aussi la prière impuissante des passagers
qui dans l’avion attachent leur ceinture pour la descente finale. [...] La
poésie c’est l’oreille de Van Gogh qui résonne de tout le sang du monde. [...]
La poésie c’est l’essence des idées avant qu’on les distille en pensée. »
Sous le titre « Prémonitions », sont encore données, en fin
d’ouvrage, de nouvelles traductions de « Manifeste populiste n° 1
(1976) », « Manifeste populiste n° 2 (Adieu à Charlot –
1978) » et « La poésie moderne est de la prose (1978) ».
Un livre tonique qui devrait trouver place dans la bibliothèque (ou sur le
chevet) de tout poète ou lecteur de poésie.
[Bernard Bretonnière]
Lawrence Ferlinghetti, Poésie : Art de l’insurrection,
traduit de l’anglais (USA) par Marianne Costa, MaelstrÖm reEvoltution, 2012.
ISBN : 978-2-87505-104-2
Prix : 10 €