Lors de la soirée Samsung Launching People, Emilie G, étudiante en design industriel nous propose d’aller à la rencontre de Matali Crasset designer industriel française et Jury du concours.
- Quel a été votre rôle au sein de ce concours?
Les internautes ont d’abord sélectionné les projets qui avaient le plus de sens et je suis intervenue dans la sélection finale.Comme c’était un projet ouvert au grand public, il y avait tout de même un grand nombre de créations sans grande profondeur, avec peu de recherches et des concepts moyennement pointus, donc ça allait assez vite à sélectionner. Il y avait toutes sortes de participation mais pas une majorité d’ étudiants en école de design.
- Sur quelles données s’est basé votre choix du gagnant?
Ce qui était compliqué, c’est qu’il y avait Art et Design et qu’à un moment donné, il y avait un choix à faire; or le projet de Florian était davantage en adéquation avec la société Samsung. Il fallait capitaliser sur un projet avec un accompagnement par l’entreprise et nous avons conclu qu’il serait plus simple de miser sur cette idée. C’est plutôt ce critère-là qui a joué dans le choix final.
- Quel va être le suivi du projet désormais?
Normalement nous partons sur un accompagnement de trois mois mais ce qui m’intéresse dans le cas de Florian, c’est que ce projet lui serve à travailler avec de vrais designers : ma bataille va être que sa création lui serve de tremplin pour une réelle expérience en cabinet. L’enjeu ,maintenant, est de déterminer si ce projet va être concrétisé et commercialisé par Samsung ou s’il va rester une recherche exceptionnelle comme un manifeste de créativité. Pour ma part, j’aimerais qu’il ait un stage dans l’entreprise Samsung afin d’y développer son idée à côté de ses études afin de mettre au point la technologie qui fait aujourd’hui défaut au « Petit poucet ».
- Lors de votre participation au Jury de « Launching people », avez-vous pu constater une tendance globale se dégager des conceptions des participants ?
Il y a eu une volonté générale de s’ancrer dans les nouvelles technologies mais ce qui m’a étonné, c’est que les propositions n’étaient peu ou pas tournées vers le social. Bien sûr dans la catégorie entreprenariat , il y en avait à foison, mais pas dans la nôtre. Personnellement, j’étais encline à aider ce type d’initiative, mais il n’y en avait pas …Ce n’est pas vraiment un problème finalement mais comme je le disais dans la vidéo de présentation, je suis attachée aux projets de gens qui ont une vision de la société personnelle et qui veulent la faire bouger.
Le projet de Florian néanmoins possède déjà une sensibilité et une humanité dans le cadre de l’habitat avec un beau potentiel.
- Maintenant sortons un peu du cadre du concours; qu’est-ce qui pour votre part vous fait « vibrer » dans ce qui se fait aujourd’hui en design? Nous avons parlé de l’aspect social d’un produit, mais au-delà de ça?
Je remarque pour ma part qu’actuellement nous apposons toujours le même sens de lecture à l’objet, avec des méthodologies communes alors que,pour ma part, je débute des projets qui sont tournés vers l’idée non pas de matérialiser mais d’accompagner, de fédérer pour faire des projets davantage tournés vers l’homme. Je peux me permettre de le faire car ma structure est petite et que je dispose d’une grande liberté d’action.
- Ne serait-ce pas aussi beaucoup dû à la reconnaissance que vous avez dans le monde du design?
C’est quelque chose que j’ai gagné à la force du poignet mais qui me donne en effet cette liberté de concevoir des projets très atypiques. Dans ce métier, il y une sorte de résistance, une peur d’aller vers l’inconnu mais c’est pourtant dans cette direction qu’il faut aller; c’est vraiment là que l’on peut faire la différence.
- Lorsqu’Estelle Denis vous a défini comme un designer industriel, j’ai tiqué car bon nombre de vos projets n’entrent pour moi pas dans cette catégorie.
C’est moi qui lui ai demandé de rajouter cette mention car c’est ce que je suis foncièrement. Le designer industriel a cet ancrage dans la réalité, une vision qui le défini; ensuite les projets qu’il va créer vont être multiples et s’inscrire dans différents champs.
Ce que j’explique aux jeunes designers, c’est qu’il faut avoir un corps de métier, après tu peux saisir les opportunités. Aujourd’hui, la grosse erreur serait d’être un généraliste et de toucher à tout sans y apporter quelque chose. Il faut démontrer dans un domaine particulier une maîtrise mais aussi une approche.
- Étant moi-même étudiante en design industriel, je sais que les sujets qui nous sont donnés sont si vastes et si différents qu’il est difficile de se forger une approche personnelle globale du monde de l’objet; quand la vôtre s’est-elle dessinée?
J’ai fait l’ENSCI et j’y ai beaucoup expérimenté. Pour mon projet professionnel (Epreuve de fin d’étude), j’ai fait le constat qu’en sortant de l’école, il faudrait que mon profil (qui est sur le papier le même que tous les autres), se démarque. Dans mes précédents travaux ,il n’y avait ni lien ni continuité; mais celui là, « tribu domestique » ,que j’ai conçu en 4 mois, est vraiment le reflet de ce que je fais aujourd’hui. J’emploierais le terme de « Scenarythmie » pour définir ce que je fais aujourd’hui; mais à l’époque c’était déjà ça: donner des fonctions annexes à un objet ayant une fonction principale pour voir jusqu’où on peut étendre son champs d’action, pour répondre à des besoins pas forcément primaires ou symboliques. Jusqu’où aller avec un seul objet?
C’est grâce à cela que je suis entrée chez Starck.
Le conseil que je donnerais aux étudiants: c’est de construire son approche avant de sortir de l’école parce qu’après c’est difficile!
Merci à Émilie pour cette interview et questions pertinentes, un œil neuf sur un monde souvent difficile d’accès, merci à Matali de nous avoir accordé quelques minutes…
Interview officiel en vidéo…