La journée s’annonçait si belle. Ce soleil déjà haut dans le ciel, une brise légère et parfaite pour la sortie en canot qu’il lui promettait depuis plusieurs semaines. Aglaé y pensait et s’en réjouissait tant depuis que Marcel, le fils de l’épicier, avait évoqué cette sortie avec un regard en disant long sur ses intentions malhonnêtes. Mais une jeune fille comme elle, ne pouvait rien savoir de ce genre d’idées qui trottent dans la tête des hommes, n’est-ce pas ?
Sa plus belle robe, la blanche avec des dentelles, avait été retouchée et rafistolée au mieux ; le corsage assorti, repassé avec soin et son amie Louison l’avait coiffée avec tout l’art dont elle était capable. Le petit chapeau avec un ruban bleu, elle se l’était offert pour l’occasion quand Emile le colporteur s’était présenté à sa porte avec sa carriole débordant de babioles et merveilles capables d’ensorceler les plus prudes paroissiennes du canton.
Elle était habillée et prête depuis bien longtemps quand Emile vint frapper à sa porte, ce dimanche après-midi de juillet. Après l’avoir complimentée sur sa tenue, courtoisement il l’avait escortée jusqu’au débarcadère, l’aidant à monter dans la barque. L’idée était d’aller dans l’île pour se promener sous les grands arbres et profiter de la fraicheur relative assurée par la végétation luxuriante. Le romantisme charmant de l’escapade, ne manquait pas d’émerveiller Aglaé.
Perdue dans ses rêves et contenant l’émotion la gagnant dans la perspectives des évènements à venir. Evènements redoutés autant que désirés, la jeune fille se laissait guider, s’abandonnant complètement au destin qu’elle avait choisi. C’est le bruit de chute d’un corps dans l’eau qui la ramène à la réalité. D’abord elle ne comprend pas, Emile dans le fleuve s’éloigne à la nage, une brasse indienne très sûre. Non seulement il regagne la berge mais il emporte la gaffe avec laquelle il avait manœuvré la barque pour venir. Elle a beau l’appeler, il ne répond pas, imperturbable dans son effort.
Plus tard, après que la honte de l’affront se soit tempérée à défaut d’être éteinte, Aglaé assise à l’ombre d’un jeune arbre, sèche ses larmes et renifle. Emile l’a larguée dans l’île comme on met au cachot un prisonnier encombrant ; là-bas, elle l’aperçoit en compagnie de Suzon, sa sœur cadette, une dévergondée celle-là, toujours à moquer la pauvre Aglaé. Tous deux au bord de l’eau, se content fleurette, riant bien fort du mauvais tour joué à la malheureuse. Seule, une fois encore, Aglaé regarde les autres s’amuser, profitant de l’été et de leur jeunesse.
Monet Au bord de l’eau, Bennecourt (1868) – Huile sur toile 81,5 x 100,7 cm – The Art Institute of Chicago