Michel Seib et ses carafes
Il se passe de belles choses aussi à Eybens, commune limitrophe de Grenoble, au Centre Culturel L'Odyssée qui présente pour un soir une version de poche des Nozze di Figaro de Mozart, pour hautbois et clarinette (sur la réduction pour flûte de 1799) avec un comédien, Michel Seib, maniant des carafes qui représentent les personnages de l'opéra de Mozart.
La salle bruissait de jeunesse, de petits enfants et de collégiens surtout, tous pris, fascinés, attentifs au spectacle de 55 minutes, où le comédien Michel Seib raconte les quatre actes des "Noces de Figaro" accompagnés au hautbois et à la clarinette qui jouent les principaux airs de l'opéra. C'est un spectacle simple, sans prétention, très léger, qui prend immédiatement et qui vous fait virevolter dans les méandres de cette folle journée.
À écouter le récit d'un Michel Seib à la fois très respectueux de la musique et des moments suspendus que représentent les interventions des deux instruments (hautbois pour la mélodie et clarinette pour le continuo) et complètement pris par le maniement des carafes, dont chacune a une forme différente pour interpréter chaque personnage:
Marceline en carafe à décanter le vin
Marcelline en carafe à décanter est désopilante, mais le Comte en grande carafe en cristal, la Comtesse aux formes plus arrondies, Cherubin et Barberine en toutes petites carafes, tout cela fait sourire, fait rire, et fait installer la bonne humeur: c'est bien une comédie qu'on voit et qu'on écoute. Quelques objets en plus, des feuillets, une serviette rouge pour le fameux ruban, une boite de biscuits en métal pour le réduit où Chérubin se cache, puis Suzanne au deuxième acte, quelques banzai artificiels pour figurer le jardin du quatrième acte. Et le tour est joué, le jeu du maniement des objets, les mimiques et le ton du comédien-metteur en scène, la vivacité de l'ensemble, font évidemment vibrer le très jeune public qui rit beaucoup. C'est clair, tout le monde a le sourire aux lèvres en sortant et en plus, tous connaissent désormais la trame de l'opéra de Mozart.
À ce propos, entendre un récit linéaire du livret de Mozart est éclairant: Dieu que cette pièce est complexe, avec ses entrelacs, avec ses relations si duplices entre les personnages, avec ses quiproquos (comme le faisait remarquer un jeune élève de cinquième derrière moi), avec son jeu permanent sur les objets (en ce sens, le théâtre d'objets convient très bien à Beaumarchais, tant leur rôle est déterminant), avec ses retournements de situation. Le récit éclaire et étonne en même temps: pourtant j'ai bien dû voir une cinquantaine, une soixantaine de fois Le Nozze di Figaro, mais voir la trame exposée ainsi linéairement en fait ressortir tous les mécanismes, et il s'agit bien d'une mécanique incroyablement agencée: eh oui, Beaumarchais était fils d'horloger, et il en a tiré les conséquences littéraires....
Voilà une petite forme qui fait peut-être plus pour la pénétration culturelle et de la musique que bien des grosses machines qui se contentent plus ou moins d'être là pour quelques concerts (c'est tellement vrai sur le territoire grenoblois) ou quelques interventions alibi en territoire scolaire. À voir le contentement, les sourires, la chaleur des applaudissements, cette soirée a produit son effet.
Le trio improbable, tel est le nom du projet, travaille sur des réductions d'opéras de Mozart: ils ont déjà à leur répertoire La Flûte enchantée, Don Giovanni, Les noces de Figaro, L'enlèvement au sérail.
Voilà qui devrait être l'embryon d'un véritable opéra de poche, qui aurait sa place à Grenoble où l'opéra manque cruellement et qui aurait le mérite d'explorer d'autres voies. La saison du Centre Culturel d'Eybens prévoit d'ailleurs en mai prochain un spectacle sur le Ring en version de poche.
Si vous êtes sur le territoire grenoblois, ne manquez pas de tester cette petite forme qui tourne dans la région (entre autres au musée de Grenoble le 30 avril), il y a de quoi ravir un jeune et moins jeune public.