Personne ne connaissait le prénom qui lui avait été donné à la naissance : depuis toujours on l’appelait Le Loup, et cette identité convenait. En le voyant, l’image qu’il projetait ne trompait pas : c’était un homme des bois qui ne pensait ni ne vivait comme les autres.
Il portait des vêtements vieillots et rapiécés. Sa longue chevelure était grisâtre et son regard intelligent. J’arrivais à percevoir un visage aux traits raffinés que dissimulait une barbe. Certes, il ne laissait pas pousser ses poils pour cacher une cicatrice. C’est avec fierté qu’il disait se préparer pour affronter les froideurs de l’hiver. Ce lainage rendait jaloux les imberbes.
Son enfance fut agréable. Son père, un agriculteur, lui avait appris à travailler durement pour gagner son pain. Dès cinq heures, au petit matin, le jeune enfilait une salopette et allait traire les vaches. Il courait dans les champs labourés jusqu’à apercevoir la lisière de forêt. L’appel de la nature le possédait. Souvent, il prenait plaisir à s’amuser dans les bois jusqu’à l’épuisement et s’endormait à l’ombre des grands conifères. Il était là, dans son univers, en terres accueillantes.
Le Loup avait compris le cycle de la vie en regardant les plantes émerger du sol, fleurir, propager leurs semences et mourir. Ce personnage singulier avait choisi de vivre en retrait de la civilisation, dans le fin fond des bois, et de devenir trappeur. Certains villageois le traitaient d’idiot ; moi, je le voyais comme un réfugié volontaire.
Le savoir qu’il avait acquis était dû, en grande partie à ses amis amérindiens qui lui avaient enseigné plusieurs techniques de chasse et le langage des animaux. Cet homme ne craignait pas le hurlement des loups. L’hiver venu, le froid et les grands espaces lui rappelaient qu’il avait le sang chaud et devait en tout temps s’adapter aux conditions climatiques pour ne pas être malade ou mourir gelé.
Selon lui, l’essentiel en forêt était de savoir faire du feu sans allumettes. À l’aide d’un archet, d’une lanière de cuir, d’un bâton et de fibres de bois, il jouait du violon et l’air s’enflammait !
Les plats qui mijotaient dans son chaudron de fonte étaient délectables. Les saveurs du terroir s’accentuaient par le mélange d’assaisonnements à base de feuilles, de racines, de mousses, de graines, de fruits et de sucs contenus dans les viandes sauvages.
Ce chasseur pratiquait le piégeage. Ces peaux étaient à leur meilleure en saison froide de par la densité de leur fourrure. Le Loup était rusé et ingénieux. Ses pièges, placés à des endroits stratégiques, en témoignaient. Certains, construits avec des perches, suspendaient d’un coup la bête au-dessus du sol. D’autres noyaient l’animal sous la glace. Il se servait d’arbres renversés au-dessus des ruisseaux pour y dissimuler des pièges et réussissait même à attraper des loutres dans des cabanes de castor.
Je prétends qu’on le nommait Le Loup, car il ressemblait curieusement à l’animal éponyme, physiquement, mais aussi de par son attitude. Le printemps venu, il se pointait au village pour vendre ses peaux. C’est comme s’il entrait en territoire étranger et que les habitants acceptaient difficilement ses différences. C’est avec plaisir qu’il saluait les gens qui osaient le regarder dans les yeux. Tel un vieux loup solitaire, il repartait. Ceux qui se sont attardés à ses expériences de vie, aux connaissances qu’il aimait transmettre, s’en sont enrichis. Je suis heureuse de l’avoir côtoyé.
Virginie Tanguay
Notice biographique de Virginie Tanguay
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