… à Venise, les pigeons marchent et les lions volent.

Publié le 15 octobre 2013 par Oliaiklod @Olia_i_Klod

La phrase est connue, et tellement éculée, désormais, que nous avions fait le vœux de ne jamais l’utiliser… mais à quelques jours des 50 ans de la mort de Jean Cocteau, ce funambule, cinéaste, dessinateur, homme de théâtre et du monde, on peut bien se remettre en question, non?

En 1908, Jean Cocteau voyage en Italie avec sa mère, selon les habitudes des privilégiés de l’époque.

A Venise, il a une relation avec un neveu d’Oscar Wilde, Langhorn-H. Whistler et, sur l’île de la Giudecca, lieu de rencontres masculines, il fréquente Raymond Laurent, un dilettante de vingt-deux ans et ancien condisciple au lycée Condorcet en 1904, qu’il étreint amoureusement. Mais ces relations, si brèves soient-elles, restent secrète. Il n’en parle pas à sa mère.

Venise restera à jamais, pour lui, liée au souvenir de Raymond Laurent (1886-1908), le jeune poète qui s’est tiré une balle de révolver sur l’esplanade de la Punta della Dogana, "allongé près d’une des hautes colonnes qui soutiennent le globe des Atlantes", à deux heures du matin, la nuit du 24 septembre, après avoir raccompagné Jean Cocteau à son hôtel. Ce suicide bouleversa tant Cocteau que sa mère décida de quitter précipitamment Venise.

Venise, 28 septembre 1908 et est dédié "À la mémoire de R. L." qui "s’y tua d’amour devant la Salute!" déçu vraisemblablement dans son amitié pour ce jeune américain.

Précisons-le tout de suite. Selon Cocteau Raymond Laurent se suicide, à deux heures du matin, sur la dernière plate-forme de l’église de La Salute à Venise, d’un coup de revolver à la poitrine. Par la suite, c’est cette version que tout le monde a repris en cœur et à l’unisson.

Un article du quotidien vénitien Il Gazzettino, daté du vendredi 25 septembre 1908, rend compte de ce drame. Et cela nous permet d’affirmer que Raymond Laurent bien s’est suicidé, peu après 2 heures du matin, le 24 septembre, mais près d’une des colonnes qui soutiennent le globe des Atlantes, à la Pointe de la Douane.

Le suicide d’un étranger à la Punta della Dogana

Dans la nuit d’hier peu après 2 heures, dans le silence solennel de cette heure, le caporal-chef des agents de la répression des fraudes Giuseppe Zirilli, qui était de garde au Bassin San Marco, a entendu un coup d’arme à feu. Il s’est rapidement rendu en bateau à la Pointe de la Douane d’où, semblait-il, était parti le coup.Pendant ce temps sont arrivés aussi l’agent de la répression des fraudes Giuseppe Minfarelli, qui était de faction à la caserne voisine, et l’agent des douanes Guglielmo Mangilli.Allongé près d’une des hautes colonnes qui soutiennent le globe des Atlantes, ils ont trouvé un jeune homme, habillé avec élégance, portant un costume bleu et des chaussures vernies. Il ne donnait pas signe de vie ; à ses côtés il y avait un revolver.À la faible lueur de quelques allumettes, ils ont pu l’examiner plus attentivement. C’était un jeune d’un peu plus de vingt ans, avec une petite moustache châtain, aux traits réguliers, aux mains fines et délicates. Il avait l’aspect d’une personne distinguée. Il s’était tiré un coup de révolver au cœur et le sang coulait lentement d’une légère blessure.L’agent des douanes a couru avertir le commissariat de Dorsoduro et le maréchal Poli avec des agents s’est immédiatement rendu sur les lieux.Peu après, est arrivé aussi le délégué, monsieur Costi, lequel a fait fouiller le suicidé. On a trouvé un porte-monnaie avec 37 lires, une montre en or, une clé de valise, une paire de gants, un canif avec des garnitures dorées et un portefeuille. Il portait au doigt une bague en or sans pierres et sur sa cravate était épinglée une broche en or. Dans le portefeuille, parmi les différentes cartes personnelles, a été retrouvée une facture de l’hôtel Europa adressée « à l’étranger de la chambre n° 81 » datée du 14 au 20 courants. Le délégué Costi, une fois établis des agents sur place, s’est fait amener de l’autre côté du Grand Canal où se trouve exactement l’hôtel. Il a appris alors que l’étranger de la chambre n° 81 était un Français, un certain Raimondo Laurent, arrivé le jour 8. Le portier l’avait vu sortir de l’hôtel vers une heure trente du matin. Le délégué s’est fait conduire dans la chambre qu’il avait occupée. Le jeune homme, en sortant, avait laissé la lampe électrique allumée ; le lit était intact ; ici et là on voyait des vêtements et du linge, jetés pêle-mêle, une valise à moitié ouverte, plusieurs livres, différentes cartes, un encrier. Des feuilles de papier à lettre étaient dispersées sur le sol. Sur une petite table le délégué a trouvé quatre lettres cachetées adressées une au directeur de l’hôtel, une autre à Lady Layard, la troisième à Madame C. Laurent à Guettares (Basses-Pyrénées) et la dernière à Monsieur Laughorne Wister – Hôtel Monaco. Les quatre lettres ont été mises sous séquestre et envoyées à l’autorité judiciaire, ainsi que le revolver encore chargé de cinq balles. Vu l’heure à laquelle il a été vu sortir de l’hôtel, il faut en déduire que le jeune a pris le bac pour se rendre directement à l’endroit bizarre choisi pour se donner la mort. Ensuite, le fonctionnaire a fait transporter le cadavre à la morgue de l’hôpital civil. À l’examen de la blessure il a constaté que le projectile, ayant pénétré par le sein gauche, avait transpercé le cœur, tuant le jeune homme sur le coup. La mort a dû être instantanée. Nous avons cherché à connaître cee qui pouvait avoir poussé ce jeune à ce geste désespéré. Nous avons pensé à une situation financière difficile, mais le directeur de l’hôtel, interrogé par nous, exclut cette hypothèse. – C’était un jeune homme très distingué, nous dit-il, qui avait réglé sa note sans problème et qui recevait de l’argent de sa famille. – Nous lui avons demandé quel type d’homme c’était. – Un type très normal. Il était plutôt jovial et il se disait amoureux de cette ville. À son arrivée à Venise, il était descendu à l’hôtel Luna, mais ici, à l’Europa, il avait rencontré un ami et ainsi il avait changé de logement. – Et cet ami ? … – D, parti depuis plusieurs jours. M. Laurent, qui était un jeune homme très intelligent et qui parlait couramment l’allemand et l’anglais. Depuis le départ de son ami, il menait une vie réglée ; il n’était rentré tard que quelques soirs. Il ne se montrait jamais préoccupé. – Et dans la lettre qu’il vous a adressée il n’expliquait rien ? … – Rien du tout ; il me demandait seulement d’envoyer ses affaires personnelles à sa mère qui habitait à Guettares en Gascogne. Lady Layard, qui nous nous sommes adressés pour avoir des renseignements, a déclaré qu’elle ne le connaissait pas du tout. Elle n’avait pas encore reçu de l’autorité judiciaire la lettre que lui avait adressée le suicidé. Monsieur Langhorne Wister, à qui une lettre avait également été adressée, était parti à 9h26 du matin, probablement, sans avoir reçu la lettre, pas plus que la nouvelle du suicide. Ainsi restent enveloppées de mystère les angoisses de cette âme jeune qui cachait ses douleurs et ses tristes propositions sous un masque joyeux d’insouciance et de gaîté. Hier soir à 9h 30 deux jeunes français se sont présentés à la porte de l’hôpital en demandant de pouvoir déposer à côté du corps du suicidé une couronne d’œillets blancs. Mais, à cause de l’heure tardive, le règlement interdisait l’entrée à la morgue ; la couronne a été alors confiée au portier, Carlo E. Rentù.

Et pour les alcooliques sceptiques qui mettront en doutes nos trouvailles, voici le texte original de l’article du Gazzetino.

l suicidio di un forestiero alla Punta della Dogana

Articolo : Ieri notte dopo poco le 2 (quindi la notte di giovedì 24), l’appuntato delle guardie di finanza Giuseppe Zirilli, che era di servizio in Bacino San Marco, udì rintronare nel silenzio solenne di quell’ora, un colpo d’arma da fuoco. Egli si diresse lestamente colsandolo verso la Punta della Dogana di dove, gli era sembrato, fosse partito il colpo.Nel frattempo arrivavano colà anche la guardia di finanza Giuseppe Minfarelli che era di sentinella alla vicina caserma e la guardia del dazio Guglielmo Mangilli.Disteso a terra presso una delle alte cololonne che sorreggono la sfera degli Atlanti, essi trovarono un giovane vestito elegantmente, con abito bleu e scarpe di vernice. Non dava segno di vita; accanto a lui stava una rivoltella.Alla debole luce di alcuni cerini si potè esaminarlo più attentamente. Era un giovane poco più che ventenne, con baffetti castagni, lineamenti regolari, mani fine e delicate. Aveva l’aspetto di una persona distinta. S’era sparato un colpo di rivoltella al cuore e il sangue gli colava lentamente da una piccola ferita.La guardia del dazio corse ad avvertire la questura di Dorsoduro e il maresciallo Poli con alcuni agenti si portò subito sul posto.Poco dopo arrivava anche il delegato signor Costi il quale fece persquisire il suicida. Gli sirinvenne un portamonete con 37 lire, un orologio d’oro, una chiave da valigia, un paio di guanti, un temperino con guarnizioni dorate e un portafoglio. Aveva in dito un anello d’oro senza pietre e alla cravatta teneva puntata una spilla d’oro. Nel portafoglio, fra varie carte personali, fu trovato un conto dell’albergo Europa intestato « al forestiero della stanza n. 81» datato dal 14 al 20 corr.Il delegato Costi lasciati alcuni agenti sul posto si fece traghettare dall’altra parte del Canalazzo dov’è appunto l’albergo.Seppe allora che il forestiero della stanza n. 81 era un francese, un certo Raimondo Laurent, giunto il giorno 8.Il portinaio l’aveva visto uscire dall’albergo verso l’una e mezza.Il funzionario si fece condurre nella stanza che era da lui occupata. Il giovane uscendo aveva lasciato la lampadina elettrica accesa ; il letto era intatto; di qua e di là si vedevano vestiti e biancheria, gettati alla rinfusa, una valigia semi aperta, parecchi libri, varie carte, un calamaio. Dei fogli di carta da lettere erano dispersi sul paviemento. Sopra un tavolino il delegato trovò quattro lettere chiuse indirizzate una al direttore dell’albergo, una a Lady Layard, la terza a M.me C. Laurent a Guettares (Bassi Pirenei) e l’altra a M.r Laughorne Wister – Hotel Monaco. Le quattro lettere furono sequestrate e mandate all’autorità giudiziaria, come pure fu sequestrata la rivoltella che era carica ancora di cinque colpi. Data l’ora in cui fu visto uscire dall’albergo si deve arguire che il giovane abbia passato traghetto per recarsi direttamente al punto strano da lui prescelto per darsi la morte. Il funzionario ordinò quindi il trasporto del cadavere alla cella mortuaria dell’ospedale civile. Dall’esame della ferita constatò che il proiettile, penetrato dalla mammella sinistra, aveva passato nettamente il cuore. La morte deve essere stata istantanea. Abbiamo cercato di conoscere quali cause potevano aver spinto l’infelice giovane al triste passo. Si supponeva prima che egli si fosse trovato in cattive condizioni finanziarie ma il direttore dell’albergo, da noi interrogato, escluse questa ipotesi. - Era un giovane distintissimo – egli ci disse – aveva liquidato perfettamente i suoi conti con l’albergo e riceveva denaro dalla famiglia. - Che tipo era ? – domandammo. - Un tipo normalissimo, era anzi gioviale e si diceva innamorato di questa città. Appena giunto a Venezia era andato ad alloggiare all’albergo Luna, ma qui all’Europa incontrò un suo amico e cambiò allora di alloggio. - E questo amico ? … - D* partito da parecchi giorni. Il Laurent, che era un giovane intelligentissimo e che parlava correntemente anche il tedesco e l’inglese, dalla partenza dell’amico, conduceva una vita regolare, solo qualche sera rincasava un po’ tardi. Non si mostrava mai preoccupato. - E nella lettera a lei diretta spiegava niente ? … - Niente del tutto; mi spiega solo di inviare le sue robe a sua madre che abita a Guettares in Guascogna. Lady Layard, alla quale ci siamo pure rivolti per avere informazione, si dichiarò di non conoscere affatto, neanche il nome, quel giovane forestiero. Essa non aveva ancora ricevuto dall’autorità giudiziaria la lettera a lei diretta dal suicida. Il signor Langhorne Wister (sic), al quale pure era indirizzata una lettera, era partito alle 9.26 del mattino senza avere avuto probabilmente, non solo la lettera, ma nemmeno la notizia del suicidio. E così rimangono avvolte nel mistero le ambascie di quella giovane anima che ricopriva i suoi dolori ed i suoi tristi propositi sotto una gioconda maschera di spensieratezza e di allegria.Ieri sera alle 9 ½ due giovani francesi si presentarono alla porta dell’ospedale chiedendo dipoter deporre accanto alla salma del suicida una palma di garofani bianchi, ma il regolamento per l’ora tarda proibiva di poter entrare nella cella mortuaria; la palma fuallora depositata al portinaio Carlo E. Rentù.