Âgée de quinze ans, Adèle est convaincue qu’une fille doit rencontrer des garçons et rêve du grand amour. Elle pense l’avoir trouvé en la personne de Thomas, un jeune homme mystérieux, mais sympathique. Elle rencontre le même jour Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, et cette rencontre bouleverse totalement sa vie. Emma hante chaque nuit ses rêves et ses désirs les plus intimes.
Palme d’Or au Festival de Cannes 2013, La Vie d’Adèle est l’immense projet inspiré de Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. A Cannes la presse est unanime et le jury de Steven Spielberg offre la fameuse palme à Abdellatif Kechiche et, événement, à ses deux interprètes principales. Ce film non militant voyait son heure de gloire coïncider avec le tapage de ces esbroufeurs de la Manif Pour Tous. Palme d’Or française, la presse et les professionnels hurlent au chef d’oeuvre lançant en même temps un bouche à oreille extrêmement positif bien avant l’exploitation en salles. Depuis le film a été rattrapé par des polémiques par interviews interposées. Ce qui est fort dommage et qui a pu desservir en beaucoup le film. Ici, nous ne ferons pas de la complaisance en disant que tout les génies ont été de vrais tortionnaires (Herzog, Kubrick, Von Trier...) et nous ne dirons pas non plus que Léa Seydoux ne devrait pas se plaindre vu le métier qu’elle fait et le nom qu’elle porte. Non, nous allons juste donner notre impression sur l’oeuvre, sans se soucier des polémiques qui gravitent autour.
Commençons par le principal, les actrices. Récompensées au même titre que le réalisateur lors de la cérémonie de clôture, les actrices d’Abdellatif Kechiche sont la force de La Vie d’Adèle, sont la colonne vertébrale. Extrêmement différentes l’une de l’autre, elles sont des talents bruts qui fait s’enorgueillir le cinéma français. Léa Seydoux (que je n’apprécie guère pourtant) rend ce rôle de composition plein de magie. Derrière ses cheveux bleus et ses yeux clairs se cachent un charme qui fait s’arrêter le temps lorsque l’on croise son regard. La scène de la première rencontre, où le destin présente par hasard à Adèle celle qui deviendra la femme de sa vie, provoque l’attachement immédiat du public au personnage de Léa Seydoux, Emma. Elle tient ici son plus beau rôle, et l’on sent tout le travail derrière cette artiste aux cheveux bleus. Lors de la scène de rupture, Léa Seydoux est simplement bouleversante et extraordinaire (les plaques rouges qui apparaissent sur son corps en disent long sur l’investissement volontaire et involontaire lors du tournage). Autre bijou du film, c’est bien entendu Adèle Exarchopoulos. Contrairement au jeu très travaillé, préparé, de Léa Seydoux, Adèle E. est ici une force de la nature qui paraît être à l’écran comme elle est à la scène. Elle a offert son corps au réalisateur. Son sourire, ses cheveux souvent décoiffés, son estomac (on en reparlera (sic)), son sexe, ses yeux, son nez (la morve, troisième personnage de l’histoire). On assiste à la naissance d’une grande actrice (ce n’est pas son premier long métrage, mais quand même) et on lui souhaite d’avoir des choix de carrière heureux. Pas facile de poursuivre à 19 ans après une Palme d’Or. Le film se déroulant durant une décennie, elle semble grandir et mûrir face à nous. L’attachement est immédiat, on aime Adèle. Le point culminant de son jeu d’actrice est également durant la scène de rupture. Le public est embarqué malgré lui dans les tumultes d’un couple qu’on a aimé voir se construire. Lorsqu’elle est livrée à elle même, Adèle pleure et erre en larme dans la rue. On se sent seul, horriblement seul.
Adèle Exarchopoulos est magnifique lorsqu’elle danse. Le jour de ses 18 ans, Adèle danse sur I Follow You et semble être épanouie et heureuse. Magnifique. Quand elle s’oublie en dansant avec l’un de ses collègues, on ressent toute la libération que peut entraîner un pas de danse. La danse revient beaucoup durant le film. Comme les scènes de repas. Car dans la Vie d’Adèle, ça bouffe. On ne fait que de bouffer. Kechiche nous montre qu’Adèle goûte à la vie comme elle bouffe. Elle est gourmande. Pourtant deux scènes de repas sont gênantes. Au delà de l’écoeurement que peuvent susciter quelques scènes de bouches ouvertes, Kechiche ose tomber dans les clichés sur les clivages sociaux. Thème récurrent dans ses films, les différences sociales sont extrêmement montrées lors des deux repas de présentations aux beaux parents. En gros : « Ciel ma belle fille veut être institutrice » Vs « Une artiste ? Bah putain c’est pas avec ça que tu vas cotiser pour ta retraite ma grande ». Le malaise est grand puisque, non seulement le temps de deux petites scènes de repas Kechiche nous fait des sketchs, mais c’est à ce moment que l’on comprend que leur amour ne survivra pas à leur rang social différent.
Autre scène gênante, la fameuse scène du rapport sexuel de sept minutes. Non pas qu’un rapport lesbien me choque, mais sans transition aucune, le réalisateur passe d’un récit initiatique où notre Adèle doit tenter d’assumer son homosexualité, de se découvrir elle même à une scène de vraie baise où Adèle semble être une pro. Elle baise comme elle bouffe, elle y va franchement. Pas sûr qu’une adolescente soit aussi performante et brutale lors de son premier rapport sexuelle avec une fille plus expérimentée. Voyez vous, c’est aussi crédible que le premier rapport anal de Jake Gyllhenhaal dans Brokeback Mountain. Un peu de salive et ça passe niquel. Genre. De plus, Kechiche quitte ses gros plans pour des scènes nous laissant voir intégralement le corps de ses actrices.
Autre thème récurrent dans le cinéma de Kechiche : la place de l’éducation. Dès le départ, nous sommes dans une salle de classe et on lit Marivaux (la rencontre presque prédestinée était déjà annoncée là). Adèle aime lire et se destine à être institutrice. Sa belle mère voit ceci d’un drôle d’oeil, Emma lui dit qu’on ne peut pas vouloir faire ça toute sa vie et qu’elle devrait écrire. Mais Adèle restera libre et ne fera que ce qu’elle a envie. Elle est la muse d’Emma, mais lorsqu’elle est dans le monde de la femme de sa vie elle reste muette comme étrangère à ce monde qui n’est pas le sien. Elle retrouve le sourire au contact de ses élèves de maternelles. L’éducation c’est le partage, Kechiche le montre bien.
La Vie d’Adèle excelle sur beaucoup de points au final et sa fin est plutôt réussie. Suite à une scène de retrouvailles dans un café extrêmement émouvante et dure, le film s’achève dans une galerie d’art où l’ont voit vraiment Adèle en terminer avec ce monde qui ne l’aura jamais accepté et dont elle ne veut pas. La Vie d’Adèle c’est tout simplement l’histoire d’une passion dévorante, splendide qui naît puis qui meurt. Et l’on aimerait que le film dure plus que ses trois heures pour suivre Adèle dans cette rue, et savoir ce qui adviendra du personnage féminin de l’année 2013.
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