En 2011, Manon Leresche a seize ans.
Le 9 juillet de cette année-là, sa vie d'adolescente bascule. Au petit matin, elle est rouée de coups, molestée à la poitrine, frappée au ventre, violée par un homme tandis que deux autres la tiennent par les épaules, puis, une fois leur crime accompli, elle est laissée à terre.
Elle sait que ces salauds ne seront jamais retrouvés. Ce n'est pas seulement son corps qu'ils ont souillé. Aussi un sentiment indicible l'envahit-il presqu'aussitôt: malheureusement ils ne l'ont pas tuée...
Peu après, que ressent-elle?
"Je pleurais mon passé que j'avais trop aimé, je voulais oublier la vie, ne penser à rien d'autre que l'ennui. Je voulais partir loin d'ici pour ne jamais revenir, faire de mon corps un chiffon pour sécher mes larmes, détruire mon coeur pour ne plus ressentir les douleurs. Je crois bien que je voulais mourir mais ne pas me suicider. Je crois bien que je voulais pleurer mais ne pas souffrir. Je crois même que je sentais la fin mais je ne la voyais pas."
Les six mois qui suivent sont des mois "de calvaire, de misère, de famine, de souffrance, de silence".
En février 2012, elle fait enfin parler son âme "en faisant saigner l'encre". Elle écrit sans pouvoir s'arrêter:
"Il fallait que je m'entende dire ces mots, ceux qui font mal, ceux qui sonnent faux jusqu'à ce que la blessure réapparaisse, la douleur renaisse et les pleurs ne cessent."
Elle exprime sa haine sur papier et c'est salvateur. Elle s'enivre l'esprit d'écriture et c'est libérateur.
Avec le soutien de son professeur au Gymnase d'Yverdon, Jean-François Cand, elle décide, sous le titre de Peau morte, de rédiger un travail de maturité sur les réactions qui ont été les siennes après ce qu'elle a vécu à l'été 2011, ce sous la forme de textes libres, suivis d'une brève analyse:
"La seule chose que je demandais à travers ce travail de maturité, était une échappatoire, là où je pouvais y voir autre chose que du noir, un moment qui puisse ralentir le temps et me faire rêver tout grand!"
Dans ces huit textes libres, écrits surtout pour elle-même, Manon Leresche s'exprime dans le langage familier qui est le sien, qui lui permet d'être vraie, profonde, et qui lui parle. Elle ne leur a donné un titre qu'après coup, parce qu'il leur correspond bien sûr, mais aussi pour donner envie de les lire. Elle y laisse libre cours à ses états d'âme et à sa propre perception du monde:
"Pour moi, la vie est violente envers quiconque et je refuse de cacher cette évidence dans mes textes." écrit-elle dans son commentaire final.
Ce travail de maturité, au sens propre et au figuré, aura permis à Manon Leresche qui, jusqu'alors, n'avait "jamais aimé lire ni écrire d'ailleurs", de trouver dans l'écriture un mode d'expression susceptible de lui construire une vie meilleure:
"Je peux dès lors affirmer que tracer des phrases à l'encre bleue n'est pas seulement une marque de travail ou encore un simple brouillon. La trace d'un mot est la naissance même d'un corps meurtri jusque-là stérile à la vie."
Manon Leresche a le désir de faire de l'écriture sa vie. Ces premiers textes, à la beauté violente, sont prometteurs.
Francis Richard
Peau morte, Manon Leresche, 80 pages, L'Aire