Bien que vague, la notion de « capital social » sonne bien, évoquant les quartiers où les gens n’ont pas à fermer leurs portes à clef, prennent soin les uns des autres et participent à une vie associative dynamique. Comme le notait Tocqueville :
« Les Américains s’associent pour donner des fêtes, fonder des séminaires, bâtir des auberges, élever des églises, répandre des livres, envoyer des missionnaires aux antipodes; ils créent de cette manière des hôpitaux, des prisons, des écoles. S’agit-il enfin de mettre en lumière une vérité ou de développer un sentiment par l’appui d’un grand exemple, ils s’associent. »
Entendu comme « les réseaux, les normes et la confiance sociale qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel », et mesurée par l’activité associative ou les niveaux déclarés de confiance, le capital social est intuitivement perçu comme une bonne chose, réduisant les coûts de transaction et rendant la résolution des problèmes d’action collective plus facile.
Mais le capital social est-il toujours souhaitable ? Des réseaux plus étroits et des niveaux de confiance plus élevés entre gangsters facilitent le fonctionnement des groupes criminels, par exemple. Et, contrairement à l’idée de Tocqueville de communautés fortes et soudées comme fondation d’un « État limité », des niveaux élevés de capital social peuvent aller de pair avec un manque de concurrence politique et de faibles contraintes constitutionnelles pour l’État.
Des niveaux élevés de capital social facilitent parfois la montée des mouvements autoritaires. Satyanath , Voigtlaender et Voth montrent comment les réseaux denses d’associations civiques ont été liés à la montée du parti nazi en Allemagne. Face à la faiblesse des institutions, souvent dysfonctionnelles, de la République de Weimar, les réseaux personnels ont favorisé la propagation du nouveau mouvement radical. Par ailleurs, en Prusse , qui avait des institutions démocratiques plus fortes que le reste de l’Allemagne, le lien entre les niveaux de capital social et de la propagation de l’appartenance au parti nazi était beaucoup plus faible qu’ailleurs, ce qui suggère que c’est la qualité des institutions formelles qui détermine si le capital social joue un rôle bénéfique ou non.
Le capital social peut être « capturé » par une élite politique prédatrice. Dans un nouvel article, Acemoglu, Reed, et Robinson observent les effets de la concurrence politique sur la gouvernance en Sierra Leone. Sans surprise , les zones avec un plus petit nombre de familles au pouvoir affichent les résultats de développement plus mauvais parce que les élites politiques sont moins contraintes par la concurrence. Dans le même temps, ces zones présentent des niveaux élevés de capital social :
« Les chefs qui font face à moins de contraintes bâtissent le capital social comme un moyen de contrôler et de surveiller la société. Ce mécanisme peut aussi inciter les gens à investir dans les relations de clientélisme avec des chefs puissants, leur donnant ainsi un intérêt direct à maintenir l’institution. Ainsi, si dans les sondages les gens disent qu’ils respectent l’autorité des anciens et ceux au pouvoir, ce n’est pas une réaction au fait que les chefs sont efficaces à fournir de biens et services publics ou à représenter les intérêts de leurs habitants. Au contraire, les populations rurales semblent être enfermées dans des relations de dépendance avec les élites traditionnelles. »
Dans de telles situations, les élites politiques s’appuient sur les réseaux existants pour accroître le contrôle sur leurs sujets. À leur tour, les citoyens sont incités à jouer le jeu, puisque, avec le manque de concurrence politique et de contraintes sur les « chefs », il est intéressant d’investir dans des relations clientélistes avec ceux qui se trouvent plus haut dans la hiérarchie, conduisant ainsi à une renforcement de l’élite dirigeante .
Par conséquent, la réponse à la question de savoir si la coopération induite par davantage de capital social est souhaitable ou non dépend en fin de compte du contexte institutionnel. Cependant, ajoutons un autre élément à la discussion : l’homogénéité. On fait valoir communément que l’homogénéité ethnique, culturelle ou religieuse facilite la création de capital social, alors que l’hétérogénéité réduit les niveaux de confiance. C’est d’ailleurs le fondement de l’argument de Paul Collier en faveur d’une immigration plus strictement contrôlée : l’idée qu’avec davantage d’immigrés, il deviendrait plus difficile de maintenir les niveaux de confiance existant dans les sociétés occidentales.
Cet argument présuppose que la totalité du capital social en occident appartient à la bonne variété. Mais que faire si le capital social contribue à soutenir les États énormes et intrusifs ? Malgré toute l’admiration que l’on peut avoir pour les sociétés scandinave à fort capital social, il est possible que ces pays seraient mieux lotis sans les énormes États-providence qui n’auraient pas pu fonctionner sans le haut degré de civisme chez les populations.
Alors que les sociétés occidentales ne ressemblent en rien à la Sierra Leone ou à l’Allemagne de Weimar, il est à tout le moins concevable que certaines parties de notre stock existant de capital social favorisent des formes indésirables de coopération comme la recherche politique de rentes ou les gaspillages de certaines redistributions publiques. Ainsi, peut-être est-il temps de faire moins confiance à ses voisins ?
Dalibor Rohac est analyste au Cato institute. le 15 octobre 2013.
Cer article a paru initialement en anglais sur le site du Cato Institute.