Parmi les dates noires qui me viennent à l’esprit ce matin, il y a le 21 avril. Elle constituait le premier tournant majeur bouleversant le paysage politique français. Il y aura désormais aussi le 13 octobre. A Brignoles dans le Var, un candidat se réclamant du Front National a battu le candidat UMP après avoir éliminé celui du PS, reléguant à l’état de mythe un front républicain artificiel que seul le peuple de gauche faisait vivre.
Las des turpitudes du moment, enclin à sanctionner son camp, il a boudé les urnes, et une nouvelle page d’histoire vient de s’écrire. Je veux un peu relativiser l’événement. Il s’agit d’un scrutin cantonal, l’élection où l’on choisit les cantonniers… Et l’élu, avec 45 % de taux de participation, sur une terre particulièrement propice, ira siéger dans une assemblée moribonde parce que l’échelon départemental sera amené tôt ou tard à être avalé par les régions. En tout cas, on est loin du plébiscite, du vote d’adhésion, de l’enracinement vanté par les responsables nationaux du FN, illuminés et éblouis comme des papillons de nuit par tant de lumière.
Il y a peu, je me suis laissé aller à exprimer ma lassitude, en évoquant notamment mon possible renoncement à passer par les urnes lors des prochains scrutins. A quoi bon ? Donner sa voix pour quoi ? Aujourd’hui, je me sens presque déjà coupable de ce qui arrive parce que très vraisemblablement, beaucoup de gens à Brignoles ont pensé et agi comme je m’apprêtais à le faire demain. Et voilà le résultat. Rien à voir donc, avec un quelquonque vote d’adhésion.
Une chose est sûre : la période de crise permanente et savamment entretenue rend la situation tendue. Le capitalisme est en train de tordre le monde, engendrant dans tous les courants de pensée une radicalité effrayante qui se matérialise par le développement des extrêmes comme le fondamentalisme, le communautarisme. Leur point commun : le repli sur soi, la peur de l’autre, et surtout l’illusion érigée en principe absolu. «Le chômage, l’injustice et les magouilles attisent la haine» rappelle justement El Camino.
Non, le FN n’a pas plus de solutions qu’en ont les socialistes qui font ce que la «Word Company» leur permet de faire à la tête du pays. Non, le FN ne vaut pas mieux que l’UMP, qui prépare déjà les sujets décompléxés pour 2017 comme «la lutte contre l’assistanat et contre le tout gratuit» cher à François Fillon. Oui, le FN est un parti qui promeut des valeurs qui ne sont pas celles de la France des droits de l’homme, qui sont la négation même de l’homme et de l’esprit de liberté. Il se fout bien de la classe ouvrière et des chômeurs. Il en a juste besoin pour obtenir le pouvoir. Ni plus, ni moins, comme un certain Nicolas S. Ensuite, cette fois, ce sera les larmes, puis le sang…
Je ne tente pas de convaincre les frontistes et la nébuleuse qui gravite autour. C’est inutile. Il suffit juste de ne pas se détourner de la chose publique, de l’entretenir à défaut d’y adhérer pleinement, en allant voter malgré les déceptions. C’est suffisant pour faire barrage aux idées nauséabondes. De cette percée, il y a une leçon importante à tirer : ne laissons pas à d’autres le soin de choisir pour nous. Aux râleurs patentés mais jamais dans la rue pour manifester quand il est nécessaire, je dis juste que notre destin est entre nos mains. Si les femmes et hommes en place ne conviennent pas, s’ils oublient leur mission de représentation et le mandat qui leur est confié, il est toujours possible de s’engager soi-même, de porter les idées, de les expliquer, de les argumenter, mais toujours avec le respect des autres et l’esprit républicain.
Dans une démocratie comme la nôtre, le pouvoir n’est finalement que concédé. Même avant le terme du mandat, il est toujours possible de le sanctionner. Il faut certes une mobilisation d’ampleur pour arriver à un tel résultat, et il est arrivé que le bruit de la rue en fasse renoncer quelques-uns. Sachez seulement qu’avec le FN, la donne risque de changer. En mars 1933, un pays d’Europe s’est laissé aller à la facilité en portant par les urnes un parti d’extreme droite au pouvoir. Le nouveau chancelier d’alors n’a mis que 6 mois pour suspendre toutes les libertés individuelles et d’expression… On est d’accord ?
Cessons de jouer avec le feu, et rappelons-nous bien d’où l’on revient.